samedi 19 juin 2021

Dossier débat de L'Humanité du 18 juin 2021 : Féminicides : pourquoi ça n'arrête pas ? Muriel Salmona, Ernestine Ronai, Céline Marcovici répondent à 3 questions d'Anna Musso


Dossier débat de L'Humanité du 18 juin 2021 : Féminicides : pourquoi ça n'arrête pas ? 

Muriel Salmona, Ernestine Ronai, 

Céline Marcovici répondent à 3 questions 

d'Anna Musso 




https://www.humanite.fr/feminicides-pourquoi-ca-ne-sarrete-pas-711444




le texte initial de ma tribune


Le 10 juin 2021, a été publié un rapport d’inspection accablant sur l’accumulation des défaillances institutionnelles ayant précédé le féminicide à Mérignac le 4 mai 2021 de Chahinez Daoud, 31 ans, mère de 3 enfants, abattue par balles puis brûlée vive dans la rue par son ex-conjoint, alors que de nombreux facteurs de risque étaient réunis et qu’elle avait à plusieurs reprises alerté les forces de l’ordre et porté plainte. 


Ces dysfonctionnements, que nous connaissons trop bien, ont déjà été pointés en 2019 lors du rapport de l’Institut de la Justice sur les homicides conjugaux de 2015 et 2016, et viennent de l’être à nouveau par le Haut Conseil à l’Egalité. 


Ces rapports illustrent une grave faillite de l’État et de ses institutions. 


Les alertes des femmes sont méprisées, leurs témoignages et ceux de leurs enfants sont mis en cause et discrédités, les dangers qu’elles et leurs enfants courent sont sous-estimés. leurs traumas ignorés et retournés contre elles, leurs plaintes ne sont pas traitées et quand elles le sont, les menaces de mort, les tentatives de meurtre et les violences sexuelles ne sont que trop rarement qualifiées comme telles, les peines prononcées sont minimes souvent réduites à du sursis. Elles subissent des mises en danger et des injustices en cascade. Elles sont sommées de faire des efforts, obligées après avoir fui de respecter des droits de visite octroyés à leur ex-conjoint violent quand bien même il continue à exercer des violences sur elles et les enfants, considérées comme aliénantes et condamnées si elles protègent leurs enfant en refusant de les remettre à leur père violent.


Les victimes sont ainsi délégitimées et privées dans leur grande majorité de secours, de protection, de soins et de justice. 


Pendant ce temps les hommes violents bénéficient d’une tolérance et d’une impunité incroyables qui alimentent leur toute puissance et les rend encore plus dangereux. Ils continuent à terroriser et traumatiser leurs femmes et leurs enfants, et s’arrogent un droit de vie ou de mort dans un déchainement inouï de violences et de haine.


Ces crimes sont systémiques. Le collectif Féminicides par compagnon ou ex fait en temps réel, le décompte de ces féminicides : depuis le début de l’année 56 femmes ont déjà été tuées, 61 enfants sont devenus orphelins dont 15 ont été témoins du meurtre. En 14 ans, entre 2006 et 2019, la Délégation Aux Victimes a recensé 2169 féminicides…


Le couple se révèle l’espace où les femmes courent le plus grand risque d’être tuées ou violées : plus de 50% des meurtres de femmes sont des féminicides conjugaux et 45% des viols sont conjugaux.


Que se passe-t-il ? Lois et moyens de protection ont beau avoir été renforcés depuis le Grenelle, ils restent toujours aussi peu appliqués par des professionnels de la police, de la justice, des secteurs médico-social et de la protection de l’enfance, pas assez formés, ne communiquant pas suffisamment entre eux et contaminés par des stéréotypes sexistes et des théories anti-victimaires qui nuisent gravement aux victimes et à leurs enfants. 


Dans notre société qui reste patriarcale, les hommes ont plus de valeur, leur parole a plus de poids, leurs droits et leur liberté sont prioritaires et passent avant le respect des droits fondamentaux des femmes et des enfants à vivre en sécurité. Leur violence est un privilège de dominants, elle n’est pas une fatalité. 


Pour lutter contre cette violence, il faut la déligitimer en luttant contre la propagande sexiste et en étant résolument du côté des femmes victimes et de leurs enfants : il s’agit de faire primer leurs droits à une protection, des soins et des aides spécifiques, et de leur rendre justice et réparations. 


De plus, les violences conjugales démarrant fréquemment lors de la grossesse, et les enfants étant gravement traumatisés par les violences conjugales, il est primordial qu’ils soient considérés comme victimes de ces violences, et qu’un principe de précaution s’applique pour suspendre les droits parentaux des pères violents.


Les hommes violents doivent être poursuivis et condamnés à des peines dissuasives dès les premières violences et mis en incapacité de nuire. Aucune impunité ne doit être tolérée. 



le 15 juin 2021,

Dre Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie

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