lundi 4 janvier 2021

Lettre au Président de la République pour lui demander de soutenir le Dr Denis Mukwege dans sa lutte contre l'impunité des très graves violations des droits humains en RDC et pour que les préconisations du rapport Mapping de l’ONU soient appliquées.




Objet : Demande de soutien au Dr Denis Mukwege dans sa lutte contre l’impunité de très graves violations des droits humains en République Démocratique du Congo (RDC) et pour que les préconisations du rapport Mapping de l’ONU soient appliquées.


 Monsieur le Président de la République ,


Je suis psychiatre française, psychotraumatologue, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, et membre du comité scientifique de la Chaire Internationale Mukwege à Liège. 


À ces titres, je travaille depuis de nombreuses années pour améliorer la prise en charge médicale et psychologique des femmes et des filles victimes de viols, défendre les droits des victimes et lutter contre l’impunité des crimes qu’elles subissent. J'ai fait des recherches et écrit de nombreux articles pour que les troubles psychotraumatiques consécutifs aux viols soient mieux reconnus et soient pris en compte comme preuves médico-légales dans les procédures judiciaires, pour que soient évaluées plus justement les préjudices consécutifs et les réparations auxquelles elles devraient avoir droit et pour qu'elles reçoivent les soins spécifiques nécessaires. Pour ces actions le ministère de la Justice m’a nommée chevalière de la Légion d’honneur en 2018.


Dans ce cadre, je travaille avec le Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la Paix en 2018 et prix Sakharov en 2014 et je soutiens son combat contre l’impunité des massacres et viols systématiques perpétués depuis plus de 20 ans en RDC, ainsi que son engagement quotidien pour que les victimes obtiennent justice, soins et réparations. 


Début août 2020, Denis Mukwege m’a fait part des messages de haine et des menaces de mort qu’il recevait quotidiennement, ainsi que sa famille, ses patientes et le personnel de son hôpital Panzi. Et il m’a expliqué que sa vie était menacée en raison de ses récentes prises de position pour dénoncer les massacres et viols systématiques qui continuent d’être commis dans l’est de la RDC, et de son plaidoyer auprès de l’ONU pour que les recommandations du rapport Mapping de 2010 soient enfin appliquées et qu’une justice internationale soit mise en place pour juger les auteurs de ces crimes, garantir leur non-réitération (TPI et tribunaux mixtes), faire toute la vérité, et réparer les victimes. 


La vie de cet homme exceptionnel et d’un courage inouï et celles de ses proches étaient d’autant plus en grand danger qu’il n’était plus protégé par l’ONU (cette protection de l’ONU par la Monusco avait été mise en place à la suite d’une attaque avec tentative d’assassinat en 2012 à laquelle il a survécu, mais qui a coûté la vie à son gardien, lequel s’était interposé pour le sauver). Très inquiète pour sa vie, j’ai tout de suite, début août, alerté les autorités françaises et, avec des personnalités engagées, j’ai été à l’initiative de plusieurs actions, menées avec l’accord de Denis Mukwege, pour obtenir que soit assurée sa sécurité de toute urgence. 


Parmi ces actions, une pétition, pour demander la protection en urgence du Dr Denis Mukwege et pour soutenir ses combats, lancée par moi-même avec le soutien de plus de 40 associations, ONG et personnalités, a reçu plus de 61 000 signataires ; le 16 août 2020 nous avons adressé avec Maître Dominique Attias une lettre ouverte à M. Antonio Gutteres, Secrétaire général des Nations Unies et à Mme Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme, signée par des institutions judiciaires françaises et européennes, par des ONG internationales et par mon association ; j'ai également écrit personnellement une lettre à Mme Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme et la lui ai fait remettre le jour même le 7 septembre.


Grâce à nos actions et une mobilisation devenue internationale en ce début septembre 2020, nous avons obtenu le 9 septembre le déploiement en urgence d’une brigade de la Monusco pour protéger le Dr Denis Mukwege, ainsi que le personnel et les patientes de l'hôpital de Panzi.


Mais, en ce début d’année 2021, le Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la paix, reste toujours une cible pour tous les auteurs des graves violations des droits humains perpétrées depuis 25 ans dans son pays, et qui n’ont jamais été poursuivis ni condamnés. Au péril de sa vie, il continue à mener son combat pour la justice et la paix en RDC, et contre l’impunité des massacres et les viols utilisés comme armes de guerre, en demandant que les préconisations du rapport Mapping sur les massacres commis de 1993 à 2003 soient enfin appliquées, avec en particulier la mise en place d’une justice internationale (Tribunal Pénal International ou des Chambres spécialisées mixtes). 


Cette impunité met le Dr Denis Mukwege en grand danger, et met également en grand danger toutes les survivantes et survivants de ces crimes de masse internationaux perpétrés depuis près de 25 ans. 


C’est pour cela, qu’au nom du Dr Denis Mukwege lui-même, du personnel de l’hôpital Panzi, des survivantes qu’il prend en charge, et de nombreuses associations, ONG et personnalités engagées, nous demandons votre soutien pour que pesiez de tout votre poids auprès du Comité de Sécurité de l’ONU pour que les préconisation du rapport Mapping de 2010 soient appliquées avec la création d’une juridiction internationale pour poursuivre les responsables de ces crimes de masse : à savoir un Tribunal Pénal International ou des chambres mixtes spécialisées composées de juges internationaux et congolais.


Pour les innombrables victimes, le risque très important de subir à nouveaux des crimes, la peur pour leurs proches, la peur de se retrouver en contact avec leurs tortionnaires, créent de profonds sentiments d’insécurité et de grandes souffrances, d’autant plus que les troubles psychotraumatiques extrêmement sévères qu‘elles présentent à la suite de ces actes inhumains sont sans cesse réactivés par le risque de croiser des criminels et par la multiplication sans fin de nouveaux massacres et de viols. 


Cette situation entraîne de graves conséquences sur leur santé mentale et physique, aggrave leur situation économique, crée des inégalités, et est génératrice de précarité et de vulnérabilité. C’est une importante perte de chance pour toutes ces victimes et leurs proches, et une atteinte à leurs droits fondamentaux et à leur dignité.


L’impunité, nous le savons, perpétue les violences dans un cycle sans fin. Près de 25 ans d’impunité, 6 millions de morts, et un grand nombre de victimes survivantes traumatisées, et de proches de victimes également traumatisés, font que la population de la RDC vit dans une souffrance et une insécurité intolérables. Seules la justice et sa recherche de vérité, la condamnation des auteurs de crimes, la reconnaissance des victimes, leur réparation, avec des soins adaptés au long cours et des aides socio-économiques, pourront permettre un retour à la paix.


La communauté internationale doit prendre ses responsabilités pour que ces massacres et viols systématiques cessent en RDC, pour que la sécurité du Dr Mukwege soit assurée dans la durée, et que ses activités de soins et son combat pour la cause des victimes soient sauvegardées. 


L’ONU, ainsi que le Parlement européen, ont condamné fermement les menaces de mort et les massacres en RDC et assuré leur soutien au combat que mène le Dr Mukwege. Le Parlement européen s’est aussi positionné dans le cadre de la résolution votée le 17 septembre 2020 pour qu’une juridiction internationale soit mise en place. Pour que la vérité, la justice et la paix règnent enfin en RDC, il est nécessaire que la communauté internationale applique les préconisations du rapport Mapping et assure la mise en place d’une justice internationale pour la RDC.


Le Dr Denis Mukwege, qui me demande d’être son porte-parole auprès de vous, est persuadé que votre soutien est primordial, il m’écrit : « La voix de la France a toujours pesé dans le concert des nations, particulièrement au Conseil de sécurité des Nations Unies et à l’Union européenne ». « La nouvelle orientation de la pétition pour réclamer la Vérité, Justice et Paix concerne des millions de victimes qui jusqu’aujourd’hui sont maintenues dans la peur et le silence. Soyez leur voix. Soyez la voix des sans voix. Le rapport Mapping est une page sombre de notre humanité. Sans vérité ni justice, cette histoire douloureuse va se répéter.  Mais votre action peut faire une grande différence dans un monde de plus en plus indifférent. Encore une fois merci à vous tous qui luttez contre l’indifférence. »


Veuillez croire, Monsieur le Président de la République, à l’expression de ma respectueuse considération et à mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année, qu’elle soit sous le signe de la Justice, de la Dignité et de la Paix.




Dre Muriel Salmona, psychiatre, psychotraumatologue

Présidente et fondatrice de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie

Membre du Comité scientifique de la Chaire Internationale Mukwege

drmsalmona@gmail.com

Auteure du Livre noir des violences sexuelles paru chez Dunod, 2ème édition 2018


Lettre ouverte de soutien au Dr Denis Mukwege adressée le le 19 aout 2020 au Secrétaire général des Nations Unies et à la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme : https://stopauxviolences.blogspot.com/2020/08/lettre-ouverte-de-soutien-au-dr-denis.html

Pétition de soutien au Dr Denis Mukwege mise en ligne le 2 septembre 2020  https://www.mesopinions.com/petition/droits-homme/menaces-mort-contre-prix-nobel-paix/103596

Lettre à Madame Michelle Bachelet 7 septembre 2020 https://stopauxviolences.blogspot.com/2020/09/lettre-madame-la-haute-commissaire-des.html

Conférence introductive de 1er congrès de la Chaire Mukwege sur le psychotraumatisme du viol : https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/2020-psychotraumatisme-du-viol-chaire-Mukwege.pdf





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