À paraître le 24 avril 2019
mon nouveau livre
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LE HARCÈLEMENT SEXUEL
Muriel Salmona
collection Que sais-je ? n° 2141
aux éditions puf
9 euros, disponible dans toutes les librairies
Le harcèlement sexuel est une forme de violence sexuelle très répandue que presque toutes les femmes subissent au cours de leur vie, parfois dès leur plus jeune âge. En rendant de nombreux espaces de vie hostiles, dangereux et dégradants, les harceleurs – des hommes de leur entourage ou des inconnus – contraignent les femmes à s'en exclure ou à s'épuiser dans des stratégies de contrôle, d'hypervigilance et d'autocensure permanentes. Non seulement traumatisants pour la santé mentale et physique, mais aussi discriminatoires, de tels actes portent atteinte aux droits, à l'égalité des chances, à la dignité et à l'intégrité des femmes. Si le harcèlement sexuel est un délit, Muriel Salmona montre qu'il est rarement dénoncé. Le mouvement planétaire #MeToo, libérateur et porteur d'espoir, est l'occasion pour elle de revenir sur un phénomène qui bénéficie encore d'une trop grande tolérance, de la loi du silence, d'une impunité quasi totale.
EXTRAITS de l'introduction et bibliographie
Avec les agressions sexuelles et le viol, le harcèlement sexuel fait partie des violences sexuelles dont il est la forme la plus fréquente. Il s’inscrit dans un continuum de violences que les femmes et les filles, qui en sont les principales victimes, risquent de subir et de cumuler dès leur plus jeune âge. Ces violences sexuelles participent du sentiment de danger et de menaces graves pour leur intégrité que toutes les femmes ressentent à un moment de leur vie face à des hommes, quels que soient le milieu et l’espace où elles évoluent : dans leur famille, leur couple, pendant leurs études, leurs formations, leur travail, dans toutes leurs activités, leurs déplacements, dans les espaces publics et les transports en commun, en ligne – dans les espaces numériques et sur les réseaux sociaux –, mais également au sein d’institutions, lors de soins médicaux, etc.
Le harcèlement sexuel est omniprésent, protéiforme, systémique et fréquemment associé à une ou plusieurs autres formes d’atteintes et de violences sexuelles ; il s’exerce dans un contexte historique d’inégalité, de domination masculine et d’oppression des minorités. Aucune origine, aucun milieu socioculturel, aucun espace de vie n’est épargné. Les victimes se recrutent partout, quels que soient leur âge, leur sexe, leur statut marital ou familial, leur état de santé ou leur handicap, et quels que soient les liens qu’elles ont avec les harceleurs.
La très grande majorité des auteurs des violences sexuelles faites aux femmes et aux filles sont des hommes, dans plus de 96 % des cas. De même, les hommes sont majoritairement les auteurs des violences sexuelles faites aux hommes et aux garçons, excepté dans le cadre du travail, où les femmes sont majoritaires en tant qu’auteures (Virage, 2017).
Comme pour toutes les violences sexuelles, les femmes sont d’autant plus exposées au harcèlement sexuel qu’elles sont jeunes, qu’elles ont déjà été victimes de violences sexuelles, qu’elles sont vulnérables, porteuses de handicap, particulièrement mental – le risque de subir des violences sexuelles est alors six fois supérieur (Dammeyer, 2018) – ou neurodéveloppementaux – près de 90 % des femmes autistes qui ont subi une ou plusieurs violences sexuelles (Brown-Lavoie, 2014 ; Gourion, 2019) –, marginalisées, précarisées et discriminées pour leur couleur de peau, leur aspect physique, leur religion, leur engagement politique ou leur orientation sexuelle réelle ou supposée (IVSEA, 2015 ; Virage, 2017).
Le harcèlement sexuel s’exerce également sur des hommes et des garçons, mais dans de moindres proportions, deux à cinq fois moins suivant les études. Il est aussi moins cumulé avec d’autres violences sexuelles (2015, Virage, 2017). On retrouve également que les harceleurs des victimes hommes sont dans une grande proportion des hommes, qui sont dans le même contexte de rapport de force et de domination, et la même nsurreprésentation de victimes chez les plus jeunes, les plus handicapés, les plus vulnérables et les plus discriminés, tout particulièrement pour leurs origines ou leur orientation sexuelle réelle ou supposée.
L’ampleur et les conséquences du harcèlement sexuel en font un problème humain majeur, de société et de santé publique. En 2014, dans une enquête de victimation sur les violences faites aux femmes à l’échelle de l’Union européenne (FRA, 2014), 50 % des femmes révèlent avoir été harcelées sexuellement dans leur vie depuis l’âge de 15 ans, contre 10 % des hommes, dans le cadre du travail pour un tiers d’entre elles, et 21 % des femmes ont subi un harcèlement sexuel au cours des douze mois précédant l’entretien. En France, l’enquête Virage, réalisée par l’INED en 2015, a montré que, sur une année, plus d’un million de femmes et moins de 500 000 hommes âgés de 20 à 69 ans déclarent avoir subi un harcèlement sexuel, dans les espaces publics, au travail ou au cours de leurs études, et une enquête du Défenseur des droits, réalisée par l’Ifop en 2014, montre qu’une femme sur cinq déclare avoir subi un harcèlement sexuel dans le cadre du travail.
Les harceleurs se recrutent dans tous les milieux et à tout âge, ils adhèrent à une vision inégalitaire et sexiste de la société, considérant les femmes comme des personnes de moindre valeur, inférieures, à leur disposition, et n’ayant pas les mêmes droits qu’eux. Ils ont l’intention de faire souffrir, de nuire, d’humilier et de dégrader les victimes ; parfois, ils revendiquent même clairement l’intention de pousser certaines victimes au suicide. Le plus souvent, ces harceleurs agissent de façon organisée, à plusieurs, partageant les mêmes stéréotypes sexistes, la même misogynie, souvent le même racisme et antisémitisme, en créant des univers hostiles et insécurisants pour les femmes afin de les en exclure, d’y restreindre leur liberté et de les faire taire.
Le harcèlement sexuel a été identifié dans plusieurs enquêtes comme l’un des obstacles les plus répandus et les plus dommageables au succès des études, de la carrière ou à la satisfaction des femmes au travail. ceIl atteint gravement l’estime de soi et la confiance des victimes, chez qui il a un effet psychotraumatique dont le retentissement pèse lourdement sur leur santé mentale et physique, avec des conséquences à long terme, des risques importants de dépressions, de troubles anxieux, de suicides, de troubles du sommeil et alimentaire, de conduites addictives, et de nombreuses atteintes somatiques, particulièrement cardiovasculaires. Les victimes se retrouvent souvent dans une grande solitude, éprouvant un sentiment de honte et de culpabilitéa. Leur vie sociale, affective et sexuelle s’en trouve profondément altérée (Campbell 2008, IVSEA, 2015, Thurston, 2019).
L’un des risques majeurs du harcèlement est l’installation d’une mémoire traumatique, qui hantera les victimes pendant des mois, des années, voire des dizaines d’années. Elles revivront à l’identique, avec le même stress et la même détresse, les comportements et les propos injurieux, menaçants, culpabilisants, humiliants et dégradants des agresseurs, d’où un sentiment de danger et de souffrance permanent. Pour survivre à cette mémoire traumatique intolérable, les victimes traumatisées mettront en place des conduites d’évitement et de contrôle, adoptant parfois même des conduites à risque ou se mettant volontairement en danger pour s’anesthésier et se dissocier, toutes conséquences qui sont d’ailleurs utilisées pour remettre en cause et disqualifier leur parole (Salmona, 2013).
I. – Une reconnaissance tardive
Le harcèlement sexuel, bien qu’il soit de plus en plus dénoncé dans le monde du travail, dans les transports en commun et dans la rue, à l’occasion de nombreux scandales et de témoignages, a été longtemps banalisé et toléré.
Le harcèlement sexuel a été reconnu, défini et réprimé tardivement pour la première fois aux États-Unis en 1976, comme une discrimination basée sur le sexe. En 2019, 154 pays dans le monde disposent d’une législation réprimant le harcèlement sexuel.
En France, sa reconnaissance s’est faite au terme d’un long chemin semé d’embûches. Ce n’est qu’en 1992 que le harcèlement sexuel a été reconnu comme un délit sexuel par le Code pénal et interdit par le Code du travail. Étape par étape, la définition de ce délit, au départ très restrictive, limitée au travail et à l’abus d’autorité dans un cadre hiérarchiquet, a été élargie à tous les autres espaces, quel que soit le lien entre la victime et le harceleur. Cette loi a été abrogée en 2012, et le scandale de cette abrogation a été tel qu’une nouvelle loi, plus sévère, a été promulguée aussitôt, donnant une définition bien plus proche des directives européennes. Enfin, dans la loi sur les violences sexuelles et sexistes d’août 2018, la définition du harcèlement sexuel a été complétée afin de réprimer les propos et les comportements de nature sexiste, ainsi que les raids numériques.
La prise de conscience de l’ampleur et de la gravité de cette forme de violence sexuelle est donc récente, mais reste fragile et n’a encore que peu li lt de répercussions. En effet, malgré cette prise de conscience, les chiffres des enquêtes de victimation sur les violences sexuelles (viols, agressions sexuelles ou harcèlement sexuel) ne régressent pas, et même augmentent. Les dernières études de 2018 sur le harcèlement sexuel subi par les femmes au travail, dans les espaces publics et dans les transports en commun, montrent des chiffres en hausse par rapport aux enquêtes précédentes de 2000 et 2014. Les chiffres sont même très inquiétants lorsqu’il s’agit de cyberharcèlement sexuel, une nouvelle forme de harcèlement sexuel en ligne en pleine expansion, 73 % des femmes déclarent en avoir été victimes dans un rapport d’ONU-Femmes de 2015.
II. – Une absence de protection
et une impunité tenaces
et une impunité tenaces
De plus, malgré des textes de loi définissant de mieux en mieux le harcèlement sexuel, et de plus en plus répressifs, l’impunité reste quasi-totale, les victimes n’étant presque jamais protégées. Les plaintes restent très rares, en deçà de 0,07 % pour les faits de harcèlement sexuel. De plus, dans un contexte où, depuis dix ans, les condamnations pour violences sexuelles diminuent sans cesse, dans des proportions importantes et préoccupantes (jusqu’à 40 % de diminution pour le viol), la justice échoue à traiter ce faible nombre de plaintes pour harcèlement sexuel, puisque plus de 80 % d’entre elles sont classées sans suite et que moins de 10 % d’entre elles font l’objet d’un jugement, ce qui aboutit à moins d’une centaine de condamnations par an (Infostat Justice, 2018).
Ces victimes de violences sexuelles ne bénéficient en général d’aucune solidarité ni d’aucune protection, contrairement aux agresseurs, qui sont trop souvent protégés au nom de leur valeur, de leur pouvoir, de leur notoriété, de l’intérêt de l’institution ou de l’entreprise qu’ils représentent. eIndifférents à leurs souffrances, on demande aux victimes de prendre sur elles, de relativiser, de mieux se protéger et de faire en sorte de ne plus être agressées, ou de s’exclure si elles n’y arrivent pas. Les agresseurs, de leurs côtés, bénéficient le plus souvent de bienveillance et de compréhension, et il est rare que les violences qu’ils ont exercées entraînent pour eux le moindre coût social ou professionnel.
Les victimes sont donc abandonnées : 83 % d’entre elles rapportent n’avoir jamais été reconnues comme telles ni protégées, et plus elles sont vulnérables, pire test la situation (IVSEA, 2015). Elles sont obligées de survivre seules face aux violences et à leurs conséquences sur leur vie et leur santé. Pour leur grande majorité, les conséquences psychotraumatiques des victimes ne sont pas prises en compte, ni diagnostiquées, ni soignées (Salmona, 2018).
Plus injuste encore : pour ces victimes de violences sexuelles, le fait de dénoncer leurs agresseurs se retourne très fréquemment contre elles. Non seulement on ne veut pas les entendre, ni les croire, ni les protéger, mais elles sont accusées de diffamation ou de dénonciation camomnieuse, on leur dit qu’elles exagèrent ou on les rend responsables des violences qu’elles ont subies, et elles se retrouvent isolées et rejetées. Après avoir signalé les violences qu’elles subissent, nombre d’entre elles perdent leur travail ou doivent renoncer à leurs études ou à leurs projets professionnels. Après avoir parlé, les victimes sont presque toujours réduites au silence. Et ce n’est qu’au bout de longues années, lorsque les témoignages de victimes se sont accumulés qu’un scandale finit par éclater, comme avec l’affaire Weinstein dans le milieu du cinéma à Hollywood, en octobre 2017.
Que se passe-t-il ? Pourquoi nos pouvoirs publics échouent-ils à lutter contre ces violences, alors qu’elles sont reconnues comme des atteintes graves aux droits, à la dignité et à l’intégrité mentale et physique des personnes qui en sont victimes, et qu’elles sont à l’origine de problèmes de santé publique, d’entrave à l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes, et d’une mise en péril des fondements de notre démocratie ? Nous allons le voir : les résistances sont très importantes et sont liées à une volonté de protéger les privilèges d’un monde patriarcal inégalitaire, sexiste, raciste et homophobe. La violence est au cœur de ce système inégalitaire : elle lui permet de perdurer et elle l’alimente sans fin, aggravant les inégalités, en créant de nouvelles, maintenant ainsi un réservoir de victimes toujours disponibles. La violence produit de la violence, par l’intermédiaire de ses effets traumatiques. Du côté des victimes, la violence aggrave les inégalités et, en les traumatisante, produit un état traumatique dissociatif qui les rend plus vulnérables aux violences et augmente ainsi le réservoir de victimes potentielles. Du côté des agresseurs, elle est à l’origine d’une mémoire traumatique qu’ils choisiront d’anesthésier en étant de nouveau violents. Le processus est sans fin : avoir déjà subi des violences, c’est le facteur de risque principal qui conduit à d’autres violences, qu’on les subisse ou qu’on les commette.
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- Étude Ifop Les Françaises et le harcèlement sexuel au travail, pour VieHealthy.com réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 26 au 29 janvier 2018 auprès d’un échantillon de 2 008 femmes, représentatif de la population féminine résidant en France métropolitaine âgée de 15 ans et plus, février 2018
- Étude Ifop Les Françaises et le harcèlement dans les lieux publics, pour VieHealthy.com réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 26 au 29 janvier 2018 auprès d’un échantillon de 2 008 femmes, représentatif de la population féminine résidant en France métropolitaine âgée de 15 ans et plus., avril 2018
- Enquêtes « Cadre de vie et sécurité » CVS Insee-ONDRP, de l’Observatoire National des réponses pénales 2010 à 2018. consultable sur le site inhesj.fr
- Les lettres numéro 1, 4, 8, 10, 12 et 13 de 2013 à 2018 de l’Observatoire National des violences faites aux femmes de la MIPROF (Mission Interministérielle de Protection des Femmes Victimes de Violences et de Lutte contre la Traite des Êtres Humains) qui recense toutes les études et rapports sur les violences faites aux femmes ainsi que les données issues de l’activité des associations spécialisées, téléchargeable sur le site http://stop-violences-femmes.gouv.fr
- INFOSTATS JUSTICE, Violences sexuelles et atteintes aux mœurs : les décisions du parquet et de l’instruction, mars 2018, Bulletin d’information sta du ministère de la Justice numéro 160 : http://www.justice.gouv.fr/art_pix/ stat_infostat_160.pdf
- INFOSTAT JUSTICE Bulletin d’information statistique du ministère de la Justice numéro164 septembre 2018
- MEN-DEPP, Enquête nationale de climat scolaire et de vic ma on auprès des lycéens 2017-2018.
Guide pour les collégiens et les lycéens Non au harcèlement DOSSIER PÉDAGOGIQUE CYCLES 3, 4 ET LYCÉE téléchargeable https://www.nonauharcelement.education.gouv.fr/wp-content/uploads/2018/11/Cahier_pedagogique_web.pdf
Guide pour l’enseignement supérieur de l’association CLASHES http://clasches.fr/wp-content/uploads/2017/07/Guide.pdf
Guide AVFT « Violences sexistes et sexuelles au travail, guide à l’attention des employeurs », http://www.avft.org/2015/03/12/la-deuxieme-edition-de-violences-sexistes-et-sexuelles-au-travail-guide-a-lattention-des-employeurs-est-disponible/
Site du Collectif féministes contre le cyberharcèlement : Que faire en cas de cyberharcèlement et de cyberviolences ? https://www.vscyberh.org/que-faire-en-cas-de-cyber-harcelement
Le site de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie avec de nombreuses informations disponibles et des fiches pratiques sur les violences, leurs conséquences sur la santé, leur prise en charge, et des informations sur les campagnes et les actions de l’association : http://www.memoiretraumatique.org
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