Le mouvement #MeToo en France
face au déni et à la culture du viol : Remettons le monde à l’endroit !
Dre Muriel Salmona,
présidente
de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie
Paris, le 14 janvier 2018,
Alors qu’en ce début d’année 2018, médusées, nous retenions notre souffle face au fabuleux mouvement #MeToo de libération de la parole, de solidarité et de reconnaissance des femmes victimes de violences sexuelles qui, depuis l’affaire Weinstein, se propage sur toute la planète jusqu’en Inde, au Pakistan et en chine, le choc a été rude quand nous avons découvert le 8 janvier en première page de Monde, une tribune signée par 100 femmes, avec comme figure de proue l’actrice Catherine Deneuve, défendant « une liberté d’importuner indispensable à la liberté sexuelle ».
Nous nous attendions, bien sûr, à des retours de balancier, mais pas à celui de femmes à la parole suffisamment décomplexée pour oser faire l’apologie de la domination masculine en matière de sexualité avec tous les stéréotypes éculés que nous dénonçons depuis si longtemps, pour nier la réalité des violences sexuelles et de leurs conséquences sur la vie et la santé de celles qui en sont victimes, pour ne pas reconnaître le droit des femmes à ne pas subir des atteintes à leur intégrité physique et mentale et à leur dignité, et pour attaquer, mépriser et culpabiliser les femmes qui ont eu le courage de témoigner de ce qu’elles ont subi et les féministes qui les soutiennent : en résumé, pour tenir un discours d’adhésion au déni et à la « culture du viol », le discours caractéristique du système agresseur et de ses complices.
Pourtant nous aurions dû nous en douter puisque les résultats de notre enquête "Les Français.e.s et les représentations sur le viol et les violences sexuelles" conduite par IPSOS en 2016 à la demande de notre association Mémoire Traumatique et Victimologie les résultats avait révélé à quel point les stéréotypes sexistes et la culture du viol étaient répandus et que les femmes n’étaient pas en reste. Elles pouvaient même être plus nombreuses que les hommes à adhérer au mythe d’une sexualité pulsionnelle difficile à maitriser pour les hommes (65%/61%), à penser qu’une femme peut prendre du plaisir lors d’une relation forcée (22%/20%), et, pour les femmes de plus de 45 ans, plus nombreuses à rendre les victimes de viols en partie responsables de ce qu’elles ont subi et à déresponsabiliser les agresseurs, par exemple pour les victimes qui acceptent de se rendre seules chez un inconnu (22%/15% pour l’ensemble des répondants) ou qui ont eu une attitude provocante en public (22%/14% pour l’ensemble des répondants), et tout aussi nombreuses, 40%, à penser que si une victime se défend vraiment elle peut le faire fuir, et également 25% à estimer que "lorsque l’on respecte certaines règles simples de précaution, on n’a quasiment aucun risque d’être victime de viol ». Dans l’enquête IPSOS ce sont donc les femmes de plus de 45 ans qui sont les plus promptes à blâmer les victimes en raison de leur comportement et à déresponsabiliser l’agresseur, l’âge constitue ici un critère clivant, particulièrement chez les Françaises, et on constate un effet de génération chez les femmes sur l’ensemble des situations testées, effet de génération que l’on retrouve chez la grande majorité des femmes qui ont signé la tribune.
Mais de là à penser que des femmes connues, des actrices, des écrivaines, des journalistes utiliseraient leur notoriété et leur discours d’autorité pour présenter #MeToo comme une campagne de délation, et voler au secours de ces pauvres « porcs » que, selon elles, des féministes puritaines, haïssant les hommes et la sexualité veulent livrer aux abattoirs dans « une justice expéditive »… au moment même où, aux USA, le projet « Time’s Up » (« C’est fini ») fondée par de grands noms féminins d’Hollywood, venait d’organiser un grand élan de solidarité pour protéger et apporter une aide financière aux victimes de violences sexuelles les plus vulnérables et précaires, où nous venions de voir et d’entendre les discours engagés au Golden Globes de toutes les actrices vêtues de noir en hommage aux victimes.
Dans cette tribune, les signataires revendiquent, en toute indécence, une complaisance et une compassion incroyables vis à vis d’agresseurs, et tout au long de leur tribune nient ou justifient des agressions sexuelles masculines contre les femmes.
Ces agresseurs, selon elles, n’en seraient pas puisqu’ils ne voudraient que séduire des femmes (voire même leur rendre hommage en les frottant dans le métro comme l’a précisé Catherine Millet lors d’une interview après la publication de la tribune) ou échapper à leur « misère sexuelle ».
Pour dédouaner ces hommes, elles manient l’amalgame et le déni jusqu’à la nausée : amalgame entre liberté sexuelle et liberté de harceler ou d’agresser, entre séduction et délits sexuels, entre sexualité et violence, déni de la stratégie des agresseurs, de leur intentionnalité de nuire, déni de la réalité et des conséquences psychotraumatiques des violences sexuelles.
En revanche, on ne trouve dans leur texte nulle solidarité vis à vis des victimes qui ont témoigné, elles sont soupçonnées par les signataires d’en faire trop, de haïr les hommes, d’être des puritaines totalitaires détestant la sexualité, de se victimiser, d’être incapables de se défendre ou de relativiser ce qui devrait être des « non-évènements », et de ne pas être suffisamment fortes pour ne pas être traumatisées. Catherine Millet, l’une des signataires de la tribune en avait déjà rajouté dans l’indécence dans un interview sur France-Culture en décembre 2017 où elle disait regretter de n’avoir pas été violée, car elle aurait pu prouver que du viol on s’en sort… puis après la publication de la tribune sur France-inter en regrettant étant trop âgée de ne plus subir les « hommages » des frotteurs dans le métro…
Pas une parole, ni aucune empathie pour les victimes de violences sexuelles, rien sur les plus vulnérables qui sont pourtant de loin les principales victimes : les filles et les garçons (81% des violences sexuelles sont subies avant 18 ans, 51% avant 11 ans, 21 % avant 6 ans, IVSEA, 2015) les personnes handicapées (les femmes handicapées qui subissent 10 à 12 fois plus de violences sexuelles, les femmes autistes qui sont 90% à en avoir subies), les personnes les plus marginalisées ou discriminées.
Pas une référence, ni aucune analyse sur le caractère systémique de ces violences, sur le fait qu’elles touchent toutes les femmes de tous les milieux, de tous les âges, de toutes les origines, sur leur ampleur effarante (1 femme sur 5 a subi des viols et des agressions sexuelles dans sa vie, tous les ans 93000 femmes, 15000 hommes, 130000 filles et 35000 garçons subissent des viols et des tentatives de viols, CSF, 2008 et ONDRP-INSEE, 2012-2017), ni sur le fait qu’elles s’exercent dans le cadre de rapports de forces, de privilèges et dans un contexte d’inégalité et de discrimination sexiste et raciste, et le plus souvent dans le cadre familial et conjugal. Juste une courte concession sur le viol en tant que crime dans l’introduction.
Pire, pas de référence à la loi qui encadre l’exercice de toute liberté fut-elle sexuelle, aux droits des personnes, au respect de leur sécurité, de leur intégrité et de leur dignité (des tentatives ou des agressions sexuelles comme tenter d’embrasser une femme par surprise, se frotter contre elle dans le métro sont qualifiées de drague ou de non-évènement due à une misère sexuelle). Pas de référence à la justice nécessaire pour les victimes, aucune indignation face à la très grande difficulté pour les victimes de porter plainte, à l’absence de protection des victimes de violences sexuelles (83% témoignent n’avoir jamais été protégées ni reconnues, IVSEA, 2015), aux maltraitance qu’elles subissent lors des procédures judiciaires, ni à l’impunité dont bénéficient la presque totalité des harceleurs, des agresseurs sexuels et des violeurs (pour rappel moins de 9% des viols font l’objet de plaintes et seuls 1% sont condamnés en cour d’assises, ONDRP-INSEE 2012-2017).
Rien sur les conséquences psychotraumatiques des violences sexuelles qui sont des conséquences neuro-psychologiques universelles liées aux violences et aux stratégies des agresseurs et non à la personnalité de la victime, être forte n’immunise pas contre les traumas comme le sous-entendent les signataires. Ces impacts psychotraumatiques sont responsables de la sidération et de la dissociation des victimes qui les paralysent et les anesthésient émotionnellement, les empêchent de pouvoir se défendre et qui les piègent dans des relations d’emprise, ainsi que d’une mémoire traumatique qui transforme leur vie en enfer en leur faisant revivre à l’identique les pires moments des violences comme une torture sans fin. Rien sur la gravité des conséquences psychotraumatiques des violences sexuelles sur la santé et la vie des victimes qui en font un problème de santé publique majeur(dans notre études 96% des personnes victimes de violences sexuelles disent qu’elles ont un impact sur leur santé mentale, 59% sur leur santé physique, 1 victime sur 2 a tenté de se suicider, a souffert d’épisodes dépressifs, de conduites addictives, 70% ont subi à nouveau des violences, 1 victime sur 2 a vécu des épisodes de grande précarité, IVSEA, 2015). Ces conséquences psychotraumatiques nécessitent impérativement une prise en charge spécialisée, la mémoire traumatique se traite ce qui permet d’éviter de nombreuses conséquences, mais cette prise en charge fait encore beaucoup trop défaut en France faute de formation des professionnels de santé et d’offres de soins, l’absence de soins est une grave perte de chance dont nos signataires feraient bien de se préoccuper.
Au lieu de cela, fières de leurs privilèges de femmes adultes blanches aisées et bien protégées, dans un mépris incroyable, elles font la leçon aux féministes qui soutiennent le mouvement #MeToo et se vantent de ne pas être des victimes éternelles, ni de pauvres petites choses fragiles traumatisées par des violences sexuelles, et de comprendre ces pauvres hommes qui ne cherchent qu’à les séduire avec des pulsions sexuelles qui sont par essence « offensives et sauvages », ou à échapper à leur misère sexuelle.
Les signataires de la tribune entérinent ce monde où les hommes sont socialisés à soumettre et les femmes à céder, que Laure Salmona décrivait très bien dans un article en 2016 : « Et c’est ainsi que le contrôle est appliqué aux femmes et non aux hommes. Plutôt que d’apprendre aux hommes à ne pas violer, on enseigne aux femmes à ne pas êtres violées, attendant d’elles un auto-contrôle de leur corps et de leurs comportements sociaux ou sexuels, toute faillite de cet auto-contrôle entraînant une minimisation de la responsabilité du violeur. »
Et pour compléter cette apologie de la culture du viol, nous avons même entendu, lors d’un débat télévisé, une des signataires de la tribune Brigitte Lahaie animatrice radio et ancienne actrice porno et qui se présente comme une spécialiste de la sexualité féminine, rétorquer, qu’on « peut jouir d’un viol » à la militante féministe Caroline De Haas qui expliquait que la vraie libération sexuelle c’est d’avoir accès à une sexualité libre de toute forme de violence, respectueuse du consentement et de la dignité de chacun.e, la violence empêchant toute jouissance. Propos pornographiques totalement déplacés et violents dans le contexte, et jouant à nouveau sur l’amalgame entre violence et sexualité et entre symptômes traumatiques et jouissance (les autres signataires de la tribune se sont désolidarisées de ces propos).
Faut-il le rappeler les violences sexuelles n'ont rien à voir avec un désir sexuel ou une tentative de séduction, ni avec des pulsions sexuelles, les violences intrafamiliales sexuelles (inceste, viols conjugaux) n'ont rien à voir avec de l'amour. Désirer, aimer ne signifient pas posséder, ni instrumentaliser pour son propre compte. Ce sont juste des armes très efficaces pour détruire et dégrader l'autre, le soumettre et le réduire à l'état d'objet et d'esclave que l'on utilise pour son plaisir et pour son besoin de mettre en scène une violence extrême.
Il s'agit avant tout de dominer et d'exercer sa toute-puissance dans le cadre d'une prise de possession du corps d'autrui, d'une érotisation de la haine et de la violence, et d'une jouissance de la souffrance de la victime.
La cruauté mentale est poussée à un paroxysme face à une victime en détresse et terrorisée, puisque l'agresseur lui signifie que non seulement il est indifférent à sa souffrance, qu'il provoque intentionnellement, mais qu'il en tire un grand plaisir au point d'en jouir. Il lui signifie aussi que son corps ne lui appartient plus, qu'il est devenu un objet dont il prend possession et sur lequel il a tout pouvoir. Ces aspects rendent les violences sexuelles encore plus destructrices, c'est pourquoi elles sont aussi utilisées comme des armes de guerre, d'oppression, de répression par la terreur.
La cruauté mentale du système agresseur s’organise ensuite en déniant à la victime la possibilité de pouvoir dénoncer les violences et revendiquer les graves préjudices qu’elle a subi, en l’accusant d’avoir été responsable des violences qui se sont abattues sur elle, en les ayant provoquées, en les ayant voulues puisqu’elle ne s’est pas suffisamment défendue, voir en en ayant joui dans un scénario pornographique où les femmes pourraient aimer être dégradées, humiliées, violées… Les femmes seraient donc des êtres à part qui pourraient renier leur dignité, des salopes donc… pas tout à fait des êtres humains donc puisque leur dignité serait aliénable.
Pour prouver cette participation des femmes à leur indignité et aux atteintes à leur intégrité, les conséquences psychotraumatiques vont être utilisées et détournées de façon totalement perverse :
- la sidération traumatique qui, face à des violences terrorisantes et insensées, paralyse les fonctions supérieures de la victime et l’empêche de s’opposer, de crier, de se défendre ou de fuir, est renvoyée à la victime comme une preuve qu’elle était consentante alors que c’est une réponse de la victime à la terreur ;
- la dissociation traumatique, qui s’installe lors de la mise en place par le cerveau de mécanismes de sauvegarde neuro-biologiques exceptionnelle qui font disjoncter les circuits émotionnels et de la mémoire pour échapper au risque vital cardio-vasculaire et neurologique lié à un stress extrême incontrôlable du fait de la sidération des fonctions supérieures, avec la sécrétion d’un cocktail morphine et étamine-like qui anesthésie et déconnecte physiquement et émotionnellement la victime, la rendant spectatrice des violences qui apparaissent irréelles, et qui entraîne une dépersonnalisation et une incapacité à s’opposer à l’agresseur génératrices d’emprise, est également renvoyée à la victime comme une preuve de consentement et d’absence de gravité de ce qu’elle a subi, puisqu’elle ne semble pas affectée par les violences, alors qu’il s’agit d’une anesthésie de survie face à un choc traumatique représentant un risque vital ;
- la mémoire traumatique qui s’installe elle aussi au moment de la disjonction de survie des circuits émotionnels et de la mémoire, ce qui va empêcher le traitement et l’intégration par l’hippocampe (système d’exploitation de la mémoire qui est déconnecté lors du trauma) de tous les évènements violents qui vont être vécus, ces évènements vont rester piégés en l’état dans la structure non-consciente à l’origine de la réponse émotionnelle, l’amygdale cérébrale, et pourront envahir l’espace psychique de la victime en lui faisant revivre à l’identique les violences avec la même détresse, les mêmes ressentis émotionnels, sensoriels et cénesthésiques comme une machine à remonter le temps mais comme un magma où victime et agresseur sont mélangés, peut être pensée par la victime ou lui être renvoyée, si elle a le malheur d’en parler à des personnes n’ayant aucune connaissance des traumas comme une preuve qu’elle a des fantasmes de viol puisqu’elle est envahie par des scènes de viol aussitôt qu’une situation fait lien avec ce qu’elle a subi, qu’elle a certainement des raisons de sentir coupable et honteuse puisqu’elle est envahie par le discours de l’agresseur qui l’a culpabilisée et méprisée en lui disant que c’est de sa faute, qu’elle l’a bien cherché, qu’elle ne vaut rien, qu’elle est une salope, etc., qu’elle est excitée ou qu’elle peut jouir lors d’autres violences sexuelles puisqu’elle est alors envahie par une excitation et une jouissance perverses qui n’est en aucun cas la sienne mais qui provient de l’agresseur des violences sexuelles antérieures ;
- les conduites dissociantes de survie qui, en l’absence de prise en charge adaptée, vont être mise en place par les victimes pour échapper aux irruptions intolérables de mémoire traumatique avec leur cortège de sensations au niveau génital provoquant une tension et un malaise qu’il s’agit de faire disparaître à tout prix en créant une situation de stress pour provoquer une disjonctions pour s’anesthésier émotionnellement, elles peuvent être des masturbations compulsives violentes, des auto-mutilations ou des conduites à risques sexuelles, sont souvent considérées et intégrées comme des pratiques sexuelles avec un désir sexuel et un orgasme alors que ce sont des addictions au stress et une disjonction traumatique avec sécrétion d’un cocktail morphine-kétamine et qu’elles ne visent qu’à échapper à un malaise et une tension intolérable provoquée par une réminiscence de violences sexuelles.
Les violences qui saturent la sexualité entretiennent une confusion entre désir véritable et addiction au stress, avec une excitation douloureuse liée à une mémoire traumatique sensorielle qu’il s’agit d’éteindre à tout prix. Elles entretiennent aussi une confusion entre une jouissance qui serait la sienne et la mémoire traumatique colonisatrice de la jouissance perverse de l’agresseur, ainsi qu’entre une jouissance et un soulagement brutal orgasmique-like lié à une disjonction et une anesthésie émotionnelle (et donc à un mécanisme psychotraumatique de sauvegarde), et enfin une confusion entre les fantasmes et les réminiscences visuelles et sensorielles provenant d’une mémoire traumatique.
Nombreuses sont les femmes qui, ayant subi des violences sexuelles, se retrouvent donc à devoir composer avec une sexualité gravement traumatisée et infectée de symptômes psychotraumatiques non identifiés comme tels. Comme elles se retrouvent seules face à cette sexualité traumatisée, sans aucun outil pour la comprendre, pour la relier aux violences subies dans le passé et pour séparer ce qui est sain de ce qui est « infecté » par les violences et leurs conséquences psychotraumatiques, elles n’auront d’autre possibilité que de l’intégrer telle quelle ou de la rejeter en bloc. Elles se retrouvent seules aussi face à une société baignant dans le déni, qui non seulement ne leur fournit aucun repère pour s’y retrouver mais qui les enfonce encore plus dans des représentations sexuelles aliénantes. Car la société relaye sans cesse des stéréotypes mystificateurs sur la prétendue sexualité féminine alors que ces stéréotypes sont construits à partir de symptômes psychotraumatiques : la vierge, la frigide, la femme passive, la nymphomane, la fille facile, la bombe sexuelle, la traînée, la salope, la prostituée, etc.
Quand les premières expériences sexuelles dans l'enfance sont des violences (ce qui est le cas pour 1 fille sur 5) :
- d’une part les expériences sexuelles ultérieures peuvent se retrouver entièrement colonisées par la mémoire traumatique des agressions précédentes, et chaque situation sexuelle charrie alors des images violentes ou des propos dégradants qui s'imposent et semblent indissociablement liés à sa propre sexualité, et qui sont pris pour des fantasmes. Pire encore, la jouissance perverse de l'agresseur, qui a été extrêmement traumatisante (jouissance de torturer, de détruire, de terroriser, de salir et de dégrader), peut envahir toute expérience de jouissance ultérieure et la rendre intolérable impossible à assumer, au point de n'avoir parfois d'autre choix que d'y renoncer pour ne pas s'y perdre puisque cette jouissance infectée par les violences pourrait faire croire que l'on jouit de sa propre dégradation ou de douleurs infligées. Tout cela est faux, bien sûr, mais la mémoire traumatique est difficile à décoder et peut paraître convaincante. Cela génère une image et une estime de soi catastrophiques qui rend les victimes encore plus vulnérables, et qui peut être à l'origine de passages à l'acte suicidaires. Des conduites dissociantes peuvent être mises en place pour anesthésier cette mémoire traumatique intolérable lors de relations sexuelles, cela peut être des consommation d’alcool ou de drogues, mais également des conduites stressantes pour provoquer une disjonction et se dissocier rapidement comme regarder un film pornographique, imaginer des scénaris très violents, avoir des pratiques sexuelles violentes « masochistes » ou à risque (il s’agit de prendre de vitesse la survenue de réminiscences traumatiques en faisant en sorte de se dissocier avant avec des conduites qui, même si elles peuvent apparaître comme violentes ou dangereuses, sont bien moins intolérables que ce qui serait revécu avec la mémoire traumatique) ;
- d’autre part si des violences sexuelles sont subies ultérieurement (ce qui est le cas pour 70% des victimes après les premières violences), chaque nouvelle violence va réactiver la mémoire traumatique des violences précédentes et coloniser la victime avec non seulement les sensations de détresse et les douleurs du passé qui se surajoutent à celles du présent, mais également avec les paroles de l’agresseur du passé (« tu l’as bien mérité, c’est de ta faute, tu n’es qu’une salope, tu aimes ça… »), sa haine, son mépris et son excitation et sa jouissance perverse, que la victime pourra ressentir comme provenant d’elle, elle pourra croire qu’elle a ressenti intriquées avec sa détresse et sa terreur, une excitation et jouissance qui n’est pas la sienne, qu’elle se considère comme coupable, qu’elle se méprise. La victime se retrouve donc face à un agresseur à subir non seulement sa mise en scène et ses violences sexuelles, mais aussi les réminiscences des violences sexuelles et des mises en scènes d’un ou des agresseurs du passé ;
- enfin, la victime, du fait des violence répétées et du contact prolongé avec l’agresseur peut se retrouver en état de dissociation traumatique chronique et être anesthésiée physiquement et émotionnellement en permanence, ce qui génère une absence de sensation lors de relations sexuelles et ce qui entraîne un niveau de tolérance élevée aux violences et aux souffrances infligées
Cette tribune montre à quel point le déni et la culture du viol restent vivaces et combien il est impératif de remettre à l’endroit tous ces mythes et toutes ces fausses représentations, et de lutter contre les stéréotypes sexistes, les mystifications, les privilèges et la domination masculine.
Depuis la publication de cette tribune, nous avons été très nombreuses à monter au créneau pour nous y opposer, à participer des débats, et démonter les uns après les autres tous leurs arguments, et surtout pour remettre le monde à l’endroit, informer sur la réalité des violences sexuelles et sur leurs impacts psychotraumatiques, et rendre justice à toutes les victimes qui ont été blessées par ces propos méprisants.
Les victimes ont besoin de reconnaissance, de solidarité et de justice, elles ont besoin d’être entendues, crues, protégées, informées et soutenues. Elles ont besoin que toutes et tous ensemble nous dénoncions les violences sexuelles, le déni et la culture du viol qui les alimentent, que nous les aidions à dénoncer les agresseurs et que nous luttions contre l’impunité scandaleuse dont ils bénéficient. Elles ont besoin que leurs droits soient respectés, de ne plus être maltraitées par la justice et d’avoir enfin accès à des soins de qualité.
Le mouvement #MeToo est un formidable espoir, nous ne lâcherons rien !
Dre Muriel Salmona, présidente
de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie
Paris, le 14 janvier 2018
Pour en savoir plus sur la culture du viol et les mythes sur le viol :
À lire et consulter sur la culture du viol et les violences sexuelles l’excellent blog féministe : Sexisme et Sciences humaines http://antisexisme.net et ses articles très documentés sur les : Mythes sur les viols.
À lire POUR EN FINIR AVEC LE DÉNI ET LA CULTURE DU VIOL en 12 points article de Muriel Salmona de 2016 réactualisé en 2017 sur le blog stopauxviolences.blogstop.fr : https://stopauxviolences.blogspot.fr/2017/03/pour-en-finir-avec-le-deni-et-la.html
À lire également Le livre noir des violences sexuelles de Muriel SALMONA Paris, Dunod, 2013.et Violences sexuelles. Les 40 questions-réponses incontournables, de Muriel SALMONA Paris, Dunod, 2015.
En quoi connaître l’impact psychotraumatique des viols et des violences sexuelles est-il nécessaire pour mieux lutter contre le déni, la loi du silence et la culture du viol, pour mieux protéger les victimes et pour que leurs droits soient mieux respectés ? de Muriel Salmona 2016 téléchargeable sur le site : http://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/2016-Necessaire-connaissance-de-limpact-psychotraumatique-chez-les-victimes-de-viols.pdf
Ces viols que les Français ne sauraient voir : ce déni alimente la honte des victimes de Laure Salmona mars 2016 : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1490893-ces-viols-que-les-francais-ne-sauraient-voir-ce-deni-alimente-la-honte-des-victimes.html
JUSTICE, VOUS AVEZ DIT JUSTICE ? de Muriel Salmona, 2017 téléchargeable sur le site : http://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/20170321-lettre_ouverte_viol_en_re%CC%81union.pdf
La victime c’est la coupable de Muriel Salmona, 2011 téléchargeable sur le site : http://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Documents-pdf/La_victime_c_est_la_coupable_4_septembre_2011_Muriel_Salmona.pdf
Pour en savoir plus sur les violences
• Les sites de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie avec de nombreuses informations disponibles et des fiches pratiques sur les violences, leurs conséquences sur la santé, leur prise en charge, et des information sur les campagnes et les actions de l’association :
• Les blogs de la Dre Muriel Salmona :
• http://lelivrenoirdesviolencessexuelles.wordpress.com avec une bibliographie générale
• Le Livre noir des violences sexuelles, de Muriel SALMONA Paris, Dunod, 2013.
• Violences sexuelles. Les 40 questions-réponses incontournables, de Muriel SALMONA Paris, Dunod, 2015.
• Le rapport d’enquête IVSEA Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte, 2015 SALMONA Laure auteure, SALMONA Muriel coordinatrice Enquête de l’association Mémoire Traumatique et victimologie avec le soutien de l’UNICEF France dans le cadre de sa campagne #ENDViolence (téléchargeable sur les sites http://stopaudeni.com/ et http://www.memoiretraumatique.org
• L’enquête Les français-e-s et les représentations du viol et des violences sexuelles, 2016 conduite par IPSOS pour l’Association Mémoire Traumatique et Victimologie, SALMONA Muriel, directrice et SALMONA Laure coordinatrice et auteure du rapport d’enquête et du dossier de presse téléchargeable sur les sites http://stopaudeni.com/ et http://www.memoiretraumatique.org (3)
• De nombreux articles de la Dre Muriel Salmona, ainsi que des vidéos de formation sont consultables et téléchargeables sur le site http://www.memoiretraumatique.org : http://www.memoiretraumatique.org/publications-et-outils/articles-de-la-dre-muriel-salmona.html
• Des brochures d’information éditées par l’association, sur les conséquences des violences sur la santé à destination des adultes et des jeunes à télécharger sur le site http://www.memoiretraumatique.org et stopaudeni.com
• Des films témoignages Stop au déni-les sans voix de Catherine Zavlav, 2015 sur http://stopaudeni.com
Les publications et rapport de Véronique Le Goaziou : rapport final de la recherche "Les viols dans la chaîne pénale" 2016 consultable sur le site de l’ORDCS
Les viols en justice : une (in)justice de classe ? in Nouvelles Questions Féministes 2013/1 (vol.32)
et écrit avec Laurent Mucchielli : Les viols jugés aux assises : in Questions pénales CESDIP septembre 2010
Enquête CSF Contexte de la sexualité en France de 2006, Bajos N., Bozon M. et l’équipe CSF., Les violences sexuelles en France : quand la parole se libère, Population & Sociétés (Bulletin mensuel d’information de l’Institut national d’études démographiques), 445, mai 2008. http://www.ined.fr/fichier/t_publication/1359/publi_pdf1_pop_soc445.pdf
consultez la lettre de l’observatoire des violences faites aux femmes publiées sur le site gouvernemental stop-violences-femmes.gouv.fr pour les chiffres sur les violences sexuelles :
Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales ONDRP– Rapport annuel sur la criminalité en France 2012– 2017 :
Etude sur les viols et les agressions sexuelles jugés en 2013 et 2014 en Cour d’assises et au Tribunal correctionnel de Bobigny réalisée par l’Observatoire des violences envers les femmes du 93 et le TGI de Bobigny
et sur la déqualification des viols un site à consulter : La correctionnalisation du viol : la négation d'un crime https://lacorrectionnalisationduviol.wordpress.com
STOP À L’IMPUNITÉ DES CRIMINELS SEXUELS
Pétitions à signer :
Pétition de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie qui a reçu plus de 45 500 signatures : Stop à l’impunité des crimes sexuels : https://www.mesopinions.com/petition/justice/stop-mpunite-crimes-sexuels/35266
Pour lire le Manifeste contre l’impunité des crimes sexuels : https://manifestecontrelimpunite.blogspot.fr
Pétition de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie qui a reçu plus de 22 400 signatures : Droit d'être soignées et protégées pour toutes les victimes de violences sexuelles ! http://www.mesopinions.com/petition/sante/droit-etre-soignees-protegees-toutes-victimes/14001
Pétition de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie qui a reçu plus de 35 800 signatures : Pour une imprescriptibilité des crimes sexuels
Pour lire le Manifeste pour une imprescriptibilité des crimes sexuels
Pétition de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie qui a reçu plus de 38 900 signatures : Stop aux violences faites aux enfants
Pour lire le Manifeste stop aux violences faites aux enfants :
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