Comprendre et prendre en charge
l’impact psychotraumatique des violences conjugales pour mieux protéger les femmes et les enfants qui en sont victimes
Crédit photo : Kanaglia
Dre Muriel Salmona, 2017
Psychiatre - psychothérapeute
Présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie
INTRODUCTION
L’impact psychotraumatique dévastateur à court, moyen et long termes des violences conjugales sur la vie et la santé des femmes et des enfants qui en sont victimes est un problème de santé publique majeur. Pourtant, il reste encore trop peu connu et pris en compte dans le cadre des prises en charge, qu’elles soient médico-psychologiques, sociales ou judiciaires.
Or, connaître les conséquences psychotraumatiques des violences est absolument nécessaire pour mieux protéger, accompagner et soigner les personnes qui en sont victimes. Sans cette connaissance, beaucoup de symptômes et de comportement de victimes sont perçus comme paradoxaux par l'entourage et les professionnels qui les prennent en charge, et sont mal-interprétés, alors que ce sont des réactions normales à des situations traumatiques.
Cette méconnaissance est à l’origine d’une profonde incompréhension et d’un manque de reconnaissance de ce que vivent les victimes, de leurs souffrances, du danger qu’elle courent et de l’emprise qu’elles subissent. Elle participe à l’abandon où sont laissées la grande majorité des victimes qui doivent survivre aux violences et à leurs conséquences psychotraumatiques sans protection, ni soin. De plus, elle alimente le déni des violences, les idées fausses, la mise en cause et la culpabilisation des victimes.
La méconnaissance des troubles psychotraumatiques et de leurs mécanismes porte donc préjudice aux victimes et représente une grave perte de chance pour elles, d’autant plus, qu’une prise en charge médico-psychologique de qualité est efficace et permet, en traitant les troubles psychotraumatiques, d’éviter la majeure partie des conséquences des violences sur la santé des victimes, sur leur vie affective, sociale, scolaire ou professionnelle, et sur le risque qu’elles subissent à nouveau des violences.
DES TROUBLES PSYCHOTRAUMATIQUES MÉCONNUS
Alors que nous disposons depuis plus de 15 ans de toutes les connaissances nationales et internationales sur l’ampleur des violences conjugales, et sur la gravité de leur impact sur la santé des victimes, ces violences conjugales et leurs conséquences sont encore largement sous-estimées. De même, les troubles psychotraumatiques et leur traitement ont beau être très bien décrits (Blake, 2011), ces connaissances sont toujours trop peu diffusées auprès des professionnels et du grand public. De ce fait, les victimes ne sont pas identifiées, leur trauma n’est pas repéré et face aux nombreuses plaintes psychologiques et somatiques de ces femmes et enfants victimes, aucun lien n’est fait avec les violences et des diagnostics sont portés à tort avec des traitements essentiellement symptomatiques et anesthésiants, quand ils ne sont pas maltraitants.
Grâce aux études de victimation nous savons que chaque année, plus de 220.000 femmes sont victimes de violences conjugales, et que seules 14% d’entre elles portent plainte, ce taux descendant à 2% pour les 40 000 femmes victimes de viols conjugaux. Chaque année, 120 à 140 femmes meurent sous les coups de leur conjoint, et plus de 30 enfants sont tués en même temps que leur mère, la séparation étant le moment le plus dangereux (Lettre de l’Observatoire national des violences faites aux femmes n°8, 2015). Nous savons également qu’aucun milieu socio-culturel n’est épargné, et que plus les femmes sont jeunes, discriminées et en situation de handicaps, plus elles sont exposées à des violences conjugales.
Bien que la nécessité de protéger ces femmes et ces enfants victimes de violences conjugales est un impératif, la loi du silence, le déni et le manque de formation des professionnels font que l’immense majorité des femmes victimes de violences se retrouvent abandonnées dans la souffrance et l’insécurité, à la merci de leur conjoint violent, sans reconnaissance des préjudices subis, ni de leurs conséquences. À elles de mettre en place, comme elles peuvent, des stratégies de protection et de survie, qui vont avoir de lourdes conséquences sur leur santé et sur leur avenir, ces stratégies étant un facteur de risque d'exclusion, de précarité et de vulnérabilité.
Les derniers plans de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux femmes et les travaux de la Mission Interministérielle de Protection des Femmes victimes de violences (MIPROF) ont fait une priorité de la formation des professionnels de santé au dépistage systématique des victimes de violences, à leur protection et à la prise en charge des conséquences psychotraumatiques de ces violences sur leur santé de la santé, mais le chemin reste long et l’offre de soins adaptés est encore bien trop rare. C’est d’autant plus important que les femmes victimes de violences désignent les médecins comme premier recours. Il s’agit d’un problème majeur de santé publique et de société qui concerne les pouvoirs publics, les professionnels concernés, mais également tous les citoyens.
Les troubles psychotraumatiques, des conséquences normales et universelles de situations de violences
Les violences conjugales peuvent être verbales, psychologiques, physiques ou sexuelles, et s’ac-compagner de violences économiques et de privation d’accès à des soins, à des droits administratifs et sociaux, à des études et à un travail. Ce sont des actes intentionnels destructeurs qui portent atteinte l’intégrité psychique et physique des victimes, à leur dignité et à leurs droits fondamentaux, ils sont punis par la loi et considérés comme des circonstances aggravantes.
Les violences conjugales sont à l’origine de troubles psychotraumatiques qui vont impacter lourdement la santé mentale et physique des victimes à long terme, ainsi que leur vie affective et sociale. Ces troubles psychotraumatiques sont également un facteur de risque majeur d’emprise et de revictimisation. Ils sont particulièrement graves, durables et fréquents (58 % d'état de stress-post-traumatique/ 24% chez l'ensemble des victimes de traumatismes – Astin, 1995) avec des chiffres encore plus importants quand les violences sont répétées et habituelles pendant des années, et quand il y a eu des violences sexuelles (jusqu’à 80 %, Breslau, 1991).
Les troubles psychotraumatiques sont des conséquences normales et universelles des violences qui s’expliquent par la mise en place par le cerveau de mécanismes neuro-biologiques et psychiques de survie à l’origine d’une mémoire traumatique et d’une dissociation traumatique (MacFarlane, 2010, Salmona, 2012, Hillis, 2016). les atteintes sont non seulement psychologiques, mais également neurologiques avec des atteintes de certaines structures du cerveau et des dysfonctionnements importants des circuits émotionnels et de la mémoire, visibles sur des IRM (Rauch, 2006, Nemeroff, 2009, Louville et Salmona, 2013). Ils ne sont pas liés à la victime, à ses caractéristiques, mais avant tout à la gravité de l’agression, au caractère insensé des violences, à l’impossibilité d’y échapper, ainsi qu’à l’intentionnalité destructrice de l’agresseur et à sa mise en scène terrorisante. La vulnérabilité de la victime (liée au handicap, à la maladie, à l’âge et au fait d’avoir déjà subi des violences) n’est qu’un facteur aggravant de ces psychotraumatismes. Sans une prise en charge adaptée, ces troubles psychotraumatiques peuvent durer des années, des dizaines d'années, voire toute une vie. Ils sont à l’origine pour les victimes traumatisées d’une très grande souffrance mentale et d’un possible risque vital et de décès précoces (suicide, conduites à risque, maladies graves).
Un impact considérable sur la santé mentale et physique à court, moyen et long termes
Les études internationales ont démontré qu’avoir subi des violences a un impact considérable sur la santé mentale : état de stress post-traumatique, troubles anxieux, dépressions, tentatives de suicide, addictions, troubles alimentaires, insomnies, phobies, troubles cognitifs (de la mémoire, de l’attention et de la concentration), etc. ; et sur la santé physique ; douleurs et fatigue chroniques, troubles cardiovasculaires, gynéco-obstétricaux, gastroentérologiques, endocriniens, rhumatismaux, neurologiques, dermatologiques, maladies auto-immunes, cancers, etc. (Garcia-Moreno, 2006 ; Felitti et Anda, 2010 Blake, 2011). La méconnaissance de l’origine traumatique de ces troubles entraîne de nombreux examens complémentaires inutiles, des errances médicales et des diagnostics erronés (particulièrement psychiatriques et neurologiques : troubles psychotiques, démentiels) accompagnés de lourds traitements inappropriés. Elle est à l’origine également d’un coût humain très important avec une perte de chance pour les victimes, et aussi d’un coût financier pour les États (soins, hospitalisations répétées, arrêt de travail, mise en invalidité, etc.). La plupart de ces conséquences auraient pu être évitées avec une protection et un traitement spécialisé adapté.
Les enfants sont victimes des violences conjugales, et ils sont lourdement traumatisés
Les enfants exposés aux violences conjugales en sont des victimes directes et vont être également lourdement traumatisés, d’autant plus s’ils sont très jeunes. Ils peuvent être traumatisés dès leur naissance, voire même en tant que fœtus, dès le troisième trimestre de la grossesse, les violences conjugales démarrant fréquemment lors d’une première grossesse (c’est le cas dans 40% des violences conjugales). De plus, les enfants peuvent être issus de viols conjugaux.
Ces enfants vont présenter des problèmes de santé à court, moyen et long termes : dépression, anxiété, phobies scolaires, angoisse de séparation, hyperactivité, irritabilité, difficultés d'apprentissage, troubles de la concentration) et des problèmes de santé physique (retard de croissance, allergies, troubles ORL et dermatologique, maux de tête, mal au ventre, troubles du sommeil et de l'alimentation). Ils présenteront un risque élevé de troubles du comportements (10 à 17 fois plus que des enfants dans un foyer sans violence) dont des conduites à risque, des addictions, une hyperactivité et des comportements agressifs vis-à-vis des autres enfants (50% des jeunes délinquants ont vécu dans un milieu familial violent dans l'enfance), et ils sont à risque important de subir de nouvelles violences. Et à l'âge adulte, on retrouvera chez eux, une augmentation des conduites agressives, des conduites à risque, des conduites délinquantes et des troubles psychiatriques (Rossman, 2001, Abrahams, 2005), avec le risque de reproduire des violences conjugales ou d’en être victime (Abrahams, 2005, Fulu, 2017). Et nous savons aussi qu’avoir subi des violences dans l’enfance est la première cause de mortalité précoce, de suicides et de tentatives de suicide, de conduites addictives (alcool , drogue), de troubles alimentaires, et le déterminant principal de l’état de santé des personnes même 50 ans après (Felitti et Anda, 2010) ; et lorsque plusieurs types de violences sont associés, cela peut faire perdre jusqu’à 20 ans d’espérance de vie. (Brown, 2009).
Les violences pendant la grossesse mettent en danger la mère et son enfant
Lors de violences conjugales pendant la grossesse, la mère et le foetus se retrouvent en grand danger, submergé-e-s par un stress continu générant une souffrance physiologique cardio-vasculaire et neurologique, avec un risque d’avortement en début de grossesse (2 fois plus de fausses-couches), de mort in-utéro par décollement placentaire, d’hémorragie foeto-maternelle ; le risque d’ accouchement prématuré est augmenté de 37% et celui d’hypotrophie à la naissance de 17% (Silverman, 2006). Une enquête conduite en Seine-Saint-Denis, en étudiant rétrospectivement les grossesses chez des femmes victimes de violences conjugales, indique un taux d’accouchements prématurés de 23 % (contre 7 % sur le département étudié) et 7 % d’accouchements à domicile contre 2 ‰. Toutes les femmes participant à l’enquête se souviennent avoir subi des coups pendant leur grossesse, 82 % d’entre elles des violences sexuelles et 28 % des coups sur le ventre (Joudrier, 2012).
À la naissance le nouveau-né est en danger, le père continuant d’être violent avec sa mère dans la presque totalité des cas, et avec lui dans 3/4 des cas. La relation mère-enfant est perturbée par les violences et par les impacts traumatiques qui touchent la mère et l’enfant. Un nouveau-né traumatisé présente un état de souffrance et de stress, responsable de pleurs incessants, de troubles du sommeil et de l’alimentation, et d’états de dissociation traumatique qui rendent le bébé très peu réactif et perturbent son développement psycho-moteur et affectif. Pleurs, troubles du sommeil et de l’alimentation sont des facteurs augmentant encore plus le risque de maltraitance.
Le dépistage systématique des violences pendant la grossesse est absolument nécessaire, il permettra de mettre en place des mesures de protection et de protéger la santé de la mère et son bébé, et la qualité de leur relation, ce qui est fondamental pour le développement du nouveau-né.
DES VICTIMES TRAUMATISÉES ET SOUS EMPRISE
Les violences conjugales, qu’elles soient psychologiques, physiques ou sexuelles, en traumatisant et en dissociant la victime, sont une arme très efficace pour la mettre au service du confort physique, sexuel, psychique, financier de son conjoint, la transformant en esclave, en thérapeute, en « médicament-drogue » pour s’anesthésier, en « figurante » pour jouer un rôle dans sa mise en scène. Les violences conjugales sont toujours une affaire de privilège, de recherche de pouvoir sur l’autre, de satisfaction de ses propres attentes au détriment de l’autre.
Les violences conjugales s’exercent dans le cadre d’un rapport de domination masculine et d’inégalités : les femmes sont de loin les principales victimes et, nous l’avons vu, les personnes vulnérables, jeunes et en situation de discrimination risquent beaucoup plus d’en subir. En miroir, la violence a de lourdes répercussions sociales, elle augmente les inégalités, la vulnérabilité, la précarité et les situations de marginalisation. Elle met les victimes en danger de subir de nouvelles violences, si elles ne sont pas protégées et soignées.
Souvent exercée sous les faux-prétextes de l'amour, de la jalousie, de la frustration, d’un besoin sexuel, d’une nécessaire éducation, de la contrariété, de la fatigue et de l’énervement, de l’alcool, etc., elles sont une véritable entreprise de démolition identitaire utilisée pour conditionner la victimes à se soumettre, à se ressentir comme n’ayant aucune valeur, comme étant incapable, coupable, honteuse, inintelligente, sans aucun droit, réduite à une chose.
Une véritable culture de la violence transmise de génération en génération règne au sein de beaucoup de couples et de familles. Cette culture de la violence banalise et minimise les violences, met en cause les femmes et les enfants qui en sont victimes, et organise le déni de leurs conséquences. Elle est alimentée par de nombreux stéréotypes et une profonde méconnaissance du traumatisme de celles et ceux qui en sont victimes (Salmona, 2016).
Encore aujourd’hui, en 2017, de nombreuses personnes considèrent qu’une femme victime de violences par son conjoint est censée s’opposer, partir et porter plainte dès le premier coup qu’elle reçoit. Si elle est restée de nombreuses années à subir des violences sans les dénoncer ni fuir, cela suscite des doutes et des incompréhensions. Ne ment-elle pas ? N’est-ce pas sa faute puisqu’elle n’a pas réagi ? Et ces violences, n’y a-t-elle pas consenti, voir même trouvé son compte par masochisme puisqu’elle est restée tant d’années avec son conjoint violent, qu’elle y est retournée après s’en être séparée, et qu’elle ne semble pas si traumatisée que cela ? Ou bien, n’en fait-elle pas trop à se plaindre tout le temps, ne se complait-elle pas dans la victimisation, n’est-elle pas hystérique, folle ?…… Penser cela, c’est adhérer à une culture de la violence qui culpabilise les victimes et décrédibilise leur parole, et c’est particulièrement injuste (Salmona, 2015). C’est faire l’impasse sur la réalité de l’enfer que ces femmes vivent, sur la gravité des menaces qui pèsent sur elles, sur les nombreuses stratégies des conjoints violents qui organisent leur emprise et leur impunité, et sur les troubles psychotraumatiques qui mettent les victimes hors d’état de réagir et les piège durablement : telles la mémoire traumatique qui leur fait revivre à l’identique les violences, et la dissociation traumatique qui les anesthésie émotionnellement.
Comment l’emprise se met en place
La violence a un pouvoir de sidération qui désactive les fonctions supérieures de la victime, l’expose à un stress dépassé entraînant le déclenchement de mécanismes neuro-biologiques de survie pour échapper à un risque vital cardio-vasculaire et neurologique (Nemeroff, 2009). Comme nous allons le voir plus en détail, les mécanismes s’apparentent à une disjonction des circuits émotionnels et de la mémoire avec la mise en place d’une dissociation traumatique et d’une mémoire traumatique. La victime doit alors composer avec cet état de dissociation traumatique qui l’anesthésie émotionnellement et une mémoire traumatique qui lui fait revivre de façon incontrôlée les violences à l’identique comme une machine à remonter le temps. Ces troubles vont générer chez la victime un état de désorganisation psychique, de dépersonnalisation, de doute et de confusion qui annihile sa volonté et qui permet au conjoint violent de mettre en place une emprise, de la manipuler et de lui dicter des émotions, de lui imposer des pensées et un rôle dans sa mise en scène. Cette emprise, véritable colonisation des processus psychiques et émotionnels par des violences répétées le plus souvent sur de nombreuses années, est un formidable outil de soumission.
Lors de situations de violences conjugales qui s’installent sur de longues années, au lieu de rechercher et d’analyser les stratégies qui ont permis à un homme violent de transformer l’espace conjugal et familial en une zone de non-droit et de terreur pendant si longtemps, c’est presque toujours à la victime qu’on demande des comptes. Elle est sommée d’expliquer pourquoi elle n’a pas pas réagi, pourquoi elle est restée si longtemps avec un conjoint qui la battait, la violait, et maltraitait également les enfants, pourquoi elle n’a rien dit, ni porté plainte. On lui demande de s’expliquer sur les phénomènes d’emprise qu’elle subit, alors que c’est elle qui aurait un besoin vital d’être informée sur les mécanismes qui en sont à l’origine pour qu’elle puisse comprendre ce qu’elle vit et y échapper.
Les mécanismes à l’origine de l’emprise ne viennent pas de la victime mais de l’impact traumatique des violences et des mises en scène de son conjoint. Les phénomènes d’emprise sont des conséquences normales de violences répétées. Et contrairement à ce qui est souvent renvoyé à la victime, celle-ci n’aime pas rester avec le conjoint violent, ce n’est pas ce qu’elle veut, elle n’est pas à l’origine de son propre malheur, elle est gravement traumatisée et dissociée, et elle cherche juste à survivre aux violences en empêchant sa mémoire traumatique d’exploser (Salmona, 2016).
Lors de violences conjugales, les différents acteurs qui prennent en charge les victimes sont rarement formés aux conséquences psychotraumatiques des violences, et ils sont donc très souvent confrontés à de grandes difficultés pour identifier ces processus d’emprise, et aider les victimes à s’en libérer. Malgré leurs efforts, les victimes restent attachées à leur conjoint violent et continuent à être à leur service. Et même lorsqu’elles ont réussi à s’en séparer, ceux qui aident les victimes assistent fréquemment, impuissants, à des processus de répétition : les femmes victimes reviennent vers leur conjoint violent, ou se retrouvent avec de nouveaux partenaires violents. En fait, bien que cela paraisse paradoxal, les victimes de violences se sentent souvent « mieux » (en fait plus dissociées et anesthésiées, voir hypnotisées) avec un conjoint violent que lorsqu’elles sont séparées de lui, et pensent à tort qu'elles l'ont dans la peau et qu'elles l'aiment, alors qu'elles sont en fait tellement terrorisées avec lui qu'un seul regard suffit à les dissocier et à les anesthésier. Se remettre avec un agresseur c'est échapper à sa mémoire traumatique par dissociation, tout en se mettant en danger.
Femmes victimes et hommes violents ont très fréquemment subi des violences dans leur enfance ou ont été témoins de violences conjugales. Une étude de Fulu très récente publiée en 2017 dans une grande revue scientifique internationale montre que « pour les hommes, toutes les formes de traumatismes chez l'enfant étaient associées à toutes les formes de perpétration de violence conjugale. Pour les femmes, toutes les formes de traumatismes chez les enfants ont été associées à la violence conjugale physique et à la violence conjugale sexuelle » (Fulu, 2017). Les troubles psychotraumatiques qui en sont la conséquence vont être à l’origine d’une mémoire traumatique, de troubles dissociatifs et de stratégies de survie. Si on n’est pas responsable des violences qu’on a subi, ni de leurs conséquences traumatiques, en revanche on a le choix des ses stratégies de survie (conduite d’évitement et conduites dissociantes anesthésiantes). La violence exercée sur autrui en est une, elle fait partie des conduites dissociantes qui permettent de s’anesthésier, comme une drogue. Une société inégalitaire où les hommes peuvent facilement choisir de mettre en scène une prétendue supériorité au dépens des femmes, facilite le choix de s’autoriser à être violent, en s’identifiant à l’agresseur de son enfance, pour «traiter» une mémoire traumatique qui, comme nous allons le voir, se réactive dans le cadre de la vie conjugale et familiale, et de la grossesse de sa conjointe.
De plus, le conjoint violent bénéficie presque toujours d’un formatage bien antérieur de sa victime à la soumission, à la tolérance et à l’hyper-adaptation à des situations extrêmes, remontant à une enfance dans des milieux familiaux violents : antécédents de maltraitance, d’exposition à des violences conjugales, et de violences sexuelles dont on connaît malheureusement la fréquence (1 femme fille sur 5 a subi des violences sexuelles dans son enfance, OMS, 2016). Avoir subi des violences dans l’enfance est un facteur de risque majeur d’en subir à nouveau tout au long de sa vie (OMS, 2010 et 2014, Felitti 2010). Le conjoint violent bénéficie également du fait que sa victime, quelles que soient les violences subies depuis son plus jeune âge, n’a jamais été ni protégée, ni reconnue comme victime, ni soignée, elle a dû grandir en survivant seule aux violences et à leurs conséquences psychotraumatiques. Elle a appris à considérer qu’elle n’avait pas de valeur, aucun droit et que personne ne viendrait à son secours. Elle a dû construire sa personnalité avec une mémoire traumatique et des troubles dissociatifs de survie, qui l’auront empêché de se connaître et de se penser comme normale (van der Hart, 2010, Salmona, 2013). Il va donc tirer parti des traumas accumulés non traités de sa victime, et des conséquences souvent désastreuses des stratégies de survie qu’elle a été dans l’obligation de développer, et qui sont des facteurs de vulnérabilité.
En plus de la complicité avec les systèmes agresseurs du passé de sa victime, il bénéficie de toute une complicité ambiante : celle d’une société inégalitaire encore dans le déni face aux violences faites aux femmes et aux filles, et qui véhicule de nombreux stéréotypes sur les femmes, sur le couple et l’amour, ainsi qu’une non reconnaissance de l’impact psychotraumatique des violences sur la santé des victimes.
Dans cette optique, la reconnaissance de la réalité des violences subies et de leur impact psychotraumatique, la compréhension des mécanismes neuro-biologiques en jeu et des stratégies des agresseurs sont essentielles pour la victime et pour toutes les personnes qui vont la prendre en charge et la soigner.
TROUBLES PSYCHOTRAUMATIQUES : DISSOCIATION TRAUMATIQUE ET MÉMOIRE TRAUMATIQUE À L’ŒUVRE, COMMENT SE FABRIQUE L’EMPRISE.
Les violences, par leur pouvoir de sidération et de paralysie psychique, empêchent toute possibilité de contrôler les réactions émotionnelles et génèrent un état de stress dépassé avec la production de grande quantité d’hormones de stress - adrénaline et cortisol - qui représente un risque vital cardio-vasculaire et neurologique (Nemeroff, 2009). Pour échapper à ce risque, un mécanisme de sauvegarde neuro-biologique exceptionnel déclenché par le cerveau va faire disjoncter le circuit émotionnel ainsi que celui de la mémoire qui lui est lié, ce qui permet un arrêt brutal de la production d’hormones de stress et génère une anesthésie émotionnelle et physique.
Cette disjonction se produit avec la sécrétion par le cerveau d’un cocktail de subtances ayant un effet morphine-kétamine (Zimmerman, 2010). Elle va être responsable de l’apparition de deux symptômes traumatiques qui sont au cœur des troubles psychotraumatiques et des processus d’emprise : une dissociation traumatique, se traduisant par une anesthésie émotionnelle et physique, un sentiment d’étrangeté, d’irréalité et de dépersonnalisation, accompagné d’une perte de repères temporo-spatiaux (Nijenhuis, 2004, Lanius, 2010) ; et une mémoire traumatique se traduisant par une mémoire émotionnelle des violences non intégrée et non consciente qui fait revivre à l’identique les pires moments, de façon incontrôlée et envahissante, avec la même terreur, les mêmes douleurs, les mêmes ressentis sensoriels sous forme de flashbacks (images, bruits, odeurs, sensations, etc), comme une machine à remonter le temps se déclenchant au moindre lien rappelant les violences et leur contexte (Salmona, 2012).
La dissociation traumatique ou comment on devient étranger à soi-même
Tant que la victime reste en contact avec son agresseur, le danger et la sidération persistent ainsi que le stress extrême, et le mécanisme de sauvegarde continue d’être enclenché produisant chez la victime un état de dissociation traumatique chronique.
Cet état déconnecte la victime de ses émotions, elle se sent spectatrice des événements, comme détachée et privée de ses émotions et de ses ressentis, avec un sentiment d’irréalité. l’anesthésie émotionnelle et physique que produit la dissociation l’empêche d’organiser sa défense et de prendre la mesure de ce qu’elle subit puisqu’elle paraît tout supporter. Les faits les plus graves, vécus sans affect, ni douleur exprimée, semblent si irréels qu’ils en perdent toute consistance et paraissent n’avoir jamais existé (amnésie dissociative post-traumatique). L’entourage et la plupart des professionnels, face à la dissociation de la victime et son apparent détachement, ne vont pas ressentir sa détresse, ni prendre conscience du danger (Salmona, 2013). La victime se sentira d’autant plus isolée, et sera d’autant moins reconnue et protégée.
De plus, la dissociation est une véritable hémorragie psychique qui vide la victime et qui annihile ses désirs et sa volonté. Elle se sent perdue et ne se reconnaît plus, elle est comme un pantin. De ce fait, il lui est très difficile de s’opposer, de se projeter dans un autre espace, une autre vie, elle s’en sent incapable. Cet état facilite grandement l’emprise par l’agresseur qui en profite pour coloniser le psychisme de la victime et la réduire en esclavage.
La mémoire traumatique où comment la vie devient un enfer
La mémoire traumatique des violences scelle plus encore cette emprise : lors des violences, la disjonction empêche la mémoire émotionnelle d’être intégrée en mémoire auto-biographique par l’hip-pocampe (structure cérébrale qui est le système d’exploitation de la mémoire et du repérage temporo-spatial), cette mémoire reste donc bloquée dans la structure cérébrale à l’origine de la réponse émotionnelle : l’amygdale cérébrale (Janet, 1928, Van der Kolk, 1991).
Elle y est hors temps, hors de toute possibilité d’analyse et de tri. Elle est indifférenciée comme un magma qui contient à la fois tout ce qu’a ressenti la victime, les violences, et les mises en scène, les paroles, la haine et le mépris du conjoint violent.
Cette mémoire traumatique se charge de plus en plus lors des nouveaux épisodes de disjonction qui surviennent lors de chaque épisode de violences. Et, telle une bombe à retardement, elle va se déclencher au moindre lien rappelant les violences, elle explose alors et envahit l’espace psychique de la victime en lui faisant revivre à l’identique sous la forme de flashbacks ce qui a été enregistré, comme une machine à remonter le temps, avec la même détresse, les mêmes douleurs, les mêmes sensations, comme une torture sans fin (Salmona, 2012).
Tant que la victime est exposée aux violences qui peuvent se répéter pendant de nombreuses années, à leur contexte, et à l’agresseur (même s’il ne commet plus de violence) elle reste dissociée, la mémoire traumatique la colonise, mais elle n’en ressent pas les émotions qui y sont attachées. Mais, aussitôt que la victime n’est momentanément plus en état de dissociation (par exemple si l’agresseur est absent, si elle est protégée, ou si une violence encore plus extrême dépasse les capacités de disjonction), elle ressent alors lors des flashbacks la même terreur et les mêmes douleurs que celles provoquées par les violences, avec une acuité intolérable sous la forme d’attaques de panique avec des sensations de mort imminente, la dissociation n’étant plus là pour les atténuer. Elle ré-entend également les paroles et les mises en scène culpabilisatrices, haineuses et méprisantes de l’agresseur "tout est de ta faute, tu l’as bien mérité, tu ne vaux rien, tu n’es rien sans moi, etc.", auxquelles elle peut totalement adhérer en pensant qu’elles proviennent de ses propres processus psychiques, et croire qu’elle se hait et se méprise.
La victime, dès qu’elle n’est pas avec son conjoint, se retrouve donc envahie et terrorisée par la mémoire traumatique des violences, avec un discours intérieur qui l’attaque et l’humilie, et qu’elle pense être le sien puisque c’est là, dans sa tête, alors qu’il s’agit du discours culpabilisant et humiliant de son conjoint, enregistré et bloqué dans son amygdale cérébrale. La victime, colonisée par ce discours, se sent coupable et honteuse, elle se croit folle et incapable, et ressent de la haine pour elle-même (celle de l’agresseur qui la colonise), ce qui rend toute prise de conscience de ses droits et toute révolte impossibles. La mémoire traumatique transforme en enfer les seuls moments où elle pourrait récupérer, et organiser sa défense et sa fuite.
Être envahie par sa mémoire traumatique et revivre les violences est tellement intolérable pour la victime, qu’elle doit à tout prix trouver des stratégies de survie pour y échapper ou l’anesthésier. Mais ces stratégies sont coûteuses et handicapantes, elles sont au nombre de deux : des conduites d’évitement et de contrôle (mise en retrait, conduites phobiques et obsessionnelles), et des conduites dissociantes (addictions pour s’anesthésier : alcool, drogues, tabac, troubles alimentaires ; mises en danger ; auto-mutilations et conduites à risque pour générer un stress important et provoquer une disjonction afin d’obtenir une anesthésie émotionnelle). Ces stratégies de survie vont participer à enfoncer un peu plus la victime dans une culpabilité et mésestime d’elle-même, et à la confusionner en raison du caractère paradoxal et incompréhensible de certaines (conduites à risque et mises en danger).
L’emprise où comment le piège se referme sur la victime
Ces états de dissociation et ces allumages de mémoire traumatique vont empêcher la victime de comprendre ses réactions et ses émotions : d’un côté elle sait qu’elle subit des violences graves, mais comme elle est coupée de ses émotions, elle doute ; de l’autre elle est colonisées par des images, des émotions, des sensations, des phrases, qu’elle ne peut pas relier à des situations précises qui surviennent à l’improviste et qui lui font craindre d’être folle. Cet état de doute, d’incertitude, de confusion permet à l’auteur de consolider son emprise, de la manipuler et de lui dicter des émotions, de lui imposer des pensées et un rôle dans sa mise en scène.
Comment, dans ces conditions, la victime peut-elle échapper à l’emprise de l’agresseur, comment peut-elle envisager de se défendre et de recouvrer son autonomie ? Elle est sans cesse sous son contrôle, même quand il n’est pas là ! Et si elle réussit à se sauver et trouver un refuge où elle est en sécurité, elle sortira alors de sa dissociation, et sera envahie par sa mémoire traumatique. Au lieu de se sentir enfin en sécurité et plus sereine, elle ressentira une détresse intolérable et subira des attaques intra-psychiques qui la culpabiliseront et la disqualifieront.
Il y a alors un grand risque qu’elle retourne avec son agresseur qui, en ayant le pouvoir de la dissocier aussitôt, va l’anesthésier ; elle pourra croire qu’elle l’a dans la peau et qu’elle est dépendante de lui et qu’elle ne peut pas s’en passer de lui, alors que c’est dans son amygdale cérébrale qu’il loge !
Ce comportement, en apparence paradoxal, est un processus psychotraumatique habituel qui aurait pu être traité, ou tout au moins expliqué, ce qui aurait permis à la victime d’anticiper et de désamorcer ces émotions traumatiques trompeuses qui l’empêchent de se libérer de son conjoint violent, la condamnant à des allers et retours qui vont encore plus la priver de soutien, les proches et les professionnels ne comprenant et ne supportant pas ces comportements qu’ils jugent incohérents (Salmona, 2015).
Cette oscillation entre dissociation traumatique et mémoire traumatique explique pourquoi la victime est souvent condamnée à rester sous l’emprise de son conjoint. Le piège est refermé sur elle, seules une protection et une prise en charge par des professionnels formés en psychotraumatologie qui seront en mesure de lui donner les bonnes explications, de l’aider à identifier les stratégies dissociantes de son conjoint, et de traiter ses traumatismes à l’aide d’une psychothérapie spécialisée, en intégrant sa mémoire traumatique en mémoire autobiographique, pourront lui permettre de s’en libérer.
LE TRAITEMENT DES TROUBLES PSYCHTRAUMATIQUES
Le traitement des troubles psychotraumatiques est essentiellement psychothérapique centrée sur la mémoire traumatique des violences (Van der Hart, 2010). Il nécessite un travail en réseau avec tous les autres acteurs de la prise en charge, et dans la mesure du possible que la victime soit totalement protégée des violences, de leur contexte et de l’agresseur, ce qui est souvent très compliqué, même après séparation, surtout quand il y a des enfants et des droits de garde, la justice ne prenant pas toujours suffisamment en compte la nécessité de protéger la mère et les enfants traumatisés de tout contact avec le conjoint violent. La persistance d’un contact met en danger les victimes de subir de nouvelles violences, de les re-traumatiser et de réactiver les processus de dissociation qui les vulnérabilisent, et sont un facteur de risque pour leur santé et un frein pour le traitement. De même, les victimes ne doivent pas être exposées à des situations de précarité.
Un bilan de santé global doit être fait, en raison des répercussions importantes de ces violences sur la santé autant mentale que physique. Une chimiothérapie associée permet de contrôler le stress avec des béta-bloquants ( Pitman et al., 2002 ) ; l'anxiété, la dépression et les attaques de panique peuvent nécessiter de façon transitoire des antidépresseurs sérotoninergiques et des anxiolytiques, et la douleur des antalgiques, et bénéficier de prises en charge psycho-corporelles.
Le travail psychothérapique a pour but d’intégrer la mémoire traumatique en mémoire autobiographique. Cela se fait dans un premier temps en donnant aux victimes et à leurs proches protecteurs des informations et des explications précises et détaillées sur leurs droits et sur les troubles psychotraumatiques, leurs mécanismes et leurs impacts, ce temps de psycho-éducation est un temps thérapeutique fondamental. Dans ce cadre les groupes de parole peuvent être d’un grand apport. Il s’agit de lutter contre le déni et tous les stéréotypes, de remettre le monde à l’endroit, de permettre aux victimes de se comprendre, de connaître leurs droits, de dénoncer les stratégies mystifiante de leurs conjoint violent, et de se libérer de sentiments de honte et de culpabilité.
Ensuite, le travail psychothérapique en identifiant, en comprenant puis en reliant chaque manifestation de la mémoire traumatique aux violences dont elle est la réminiscence, permet de la re-contexualiser et de réintroduire des représentations mentales qui permettent de rétablir un contrôle émotionnel efficace sur la mémoire traumatique et de pouvoir ainsi la désamorcer. Ce travail de déminage permet de créer suffisamment de sécurité pour qu’il soit possible de "revisiter" pas à pas le vécu des violences, de toutes les violences, dont très souvent les premières remontent à l’enfance. Il s'agit de "réparer" l'effraction psychique initiale, la sidération psychique liée à l'irreprésentabilité des violences (Van der Kolk, 1991 ; Foa, 2006) pour que le vécu puisse devenir intégrable, car mieux représentable, mieux compréhensible, en mettant des mots sur chaque situation, sur chaque comportement, chaque réaction, chaque émotion, en analysant avec justesse le contexte ainsi que le comportement et la stratégie de l'agresseur. Cette analyse poussée permet au cerveau associatif et à l'hippocampe de reprendre le contrôle des réactions de l'amygdale cérébrale, de rétablir des connexions neurologiques et d'encoder la mémoire traumatique émotionnelle pour la transformer en mémoire autobiographique consciente et contrôlable (Nijenhuis, 2004). Parallèlement à l'efficacité clinique du traitement, la neuro-imagerie montre une augmentation du volume de l'hippocampe avec une neurogenèse et une restauration dendritique : les atteintes neuronales ne sont donc pas définitives (Ehling, 2003).
Le but de la psychothérapie, que ce soit pour le psychothérapeute ou le patient, est donc de ne jamais renoncer à tout comprendre, ni à redonner du sens. Tout symptôme, tout cauchemar, tout comportement qui n’est pas reconnu comme cohérent avec ce que l’on est fondamentalement, toute pensée, réaction, sensation incongrue doit être disséquée pour la relier à son origine, pour l’éclairer par des liens qui permettent de la mettre en perspective avec les violences subies, et pouvoir ainsi la désamorcer (Foa, 2006, Salmona, 2012). Il s’agit, pour le patient, de devenir expert en gestion et en « déminage », et de poursuivre le travail seul, pour que la mémoire traumatique se décharge de plus en plus et que les conduites dissociantes ne soient plus nécessaires. La sensation de danger permanent s’apaise alors, et petit à petit il lui devient possible de sortir de la dissociation, de se décoloniser de la mémoire traumatique, de retrouver sa cohérence, de se réconcilier avec soi-même et d’arrêter de survivre pour vivre enfin en étant enfin lui-même.
De plus ce travail de compréhension permet à la victime d’éviter d’être traumatisée par de nouvelles violences. Une fois que les violences prennent sens par rapport au passé traumatisant de l’agresseur, que les victimes se rendent comte que les violences ne les concernent absolument pas, qu’elles se jouent sur une autre scène, celle de la mémoire traumatique de l’agresseur et de son passé, le scénario mis en scène par l’agresseur ne fonctionne plus, il devient possible aux victimes de ne plus être piéger et de ne plus y participer. À partir du moment où les victimes comprennent ce qui se passe, elles peuvent identifier la scène et le rôle dans lequel l’agresseur tente de les piéger et s’en libérer, elles ne sont plus la proie pétrifiée dont l’agresseur a besoin pour sa mise en scène. Le «jeu» ne fonctionne plus, la victime peut se mettre «hors-jeu» et laisser l’agresseur face à une scène où il ne peut plus jouer le rôle de bourreau, faute de victime pétrifiée. Son histoire, qu’il imposait à la victime, lui est renvoyée en pleine figure, en miroir. Il est alors ramené à son propre rôle originel, un rôle de victime qu’il ne veut surtout pas jouer. Le «jeu» n’a donc plus de sens, plus d’intérêt et il n’est plus dissociant, l’agresseur devra se dissocier autrement ou se calmer. Face à lui, la victime est devenue comme Persée face à Méduse, sa compréhension est le bouclier miroir offert par Athéna (déesse de la sagesse et de la raison) à Persée, elle lui évite d’être pétrifiée par le regard de Méduse.
CONCLUSION
Au total, les mécanismes psychotraumatiques neuro-biologiques de disjonction et leurs conséquences sont essentiels à comprendre, ils permettent aux professionnels de prendre en compte les processus d’emprise que subissent les victimes et de comprendre les symptômes et les comportements des victimes, et de mieux les protéger et les prendre en charge et les soigner.
Pour les victimes il est déjà très libérateur d’apprendre que leurs symptômes, leur souffrance, leur mal-être, leurs troubles du comportements sont des conséquences des violences, sont cohérents et normaux à la lumières des processus psychotraumatiques (MacFarlane, 2010), qu’elles ne sont pas folles, ni débiles, ni incapables, etc. Les femmes victimes nous rapportent à quel point cela change tout pour elles. Soudain elles ont des clés qui leur permettent de comprendre ce qu’elles ressentent, d’expliquer des comportements qui sont en fait des stratégies de survie, et de pouvoir en sortir, de ne plus être piégées par certaines réminiscences de leur mémoire traumatique qui leur imposent une pseudo-réalité, et de pouvoir faire le tri entre ce qu’elles sont et ce qui les colonise.
Cette compréhension leur permet de renouer avec leur estime de soi, leur sentiment de dignité, d’unité, de cohérence et de sécurité intérieure, d’être moins vulnérables et de ne plus se sentir coupables. Elle leur permet également de démonter le système agresseur, d’identifier l'incohérence et la stratégie intentionnelle à l’œuvre chez l’agresseur, ce qui leur permet de déjouer leur pouvoir sidérant et dissociant, et de pouvoir mieux se défendre, de dénoncer les violences, de ne plus être manipulées, et de ne plus être sous emprise (Salmona, 2015).
L’information sur les troubles psychotraumatique et leurs mécanismes, la formation des professionnel, et la mise en place de centre de soins spécialisés et accessibles sont des impératifs si l’on veut que les droits des victimes soient enfin respectés : droit à la protection et à la sécurité, droit à la santé et à des soins de qualité, droit à une prise en charge sociale, droit à la justice et à des réparations.
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