Monsieur le Président de la République,
Je m’appelle Muriel Salmona, je suis psychiatre, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, association de recherche, de formation et d’information sur les psychotraumatismes qui lutte contre toutes les formes de violences. Je me bats depuis de nombreuses années pour que les droits des victimes soient respectés, pour qu’elles soient protégées, accompagnées et qu’elles aient accès à des soins spécialisés. J’ai été de nombreuses fois auditionnée dans le cadre des plans de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants, et de la prise en charge des victimes, y compris celles des attentats.
Comme vous vous réclamez du libéralisme égalitaire, vous inspirant de philosophes tels que John Rawls et Armatya Sen, j’ai l’espoir que vous prendrez en considération l’urgence humaine et sociale de lutter contre les violences faites aux enfants, lutte pour laquelle j’ai élaboré 10 recommandations dans le Manifeste Stop aux Violences faites aux Enfants (http://manifestestopvfe.blogspot.fr/) signé par 25 associations et de nombreuses personnalités, et dont la pétition de soutien a recueilli plus de 27 000 signatures.
L'exposition précoce à la violence a été reconnue par la communauté scientifique internationale et l’Organisation Mondiale de la Santé comme un problème majeur de santé publique, étant la principale cause de mortalité précoce et de morbidité à l’âge adulte. Elle est également reconnue comme une usine à fabriquer des inégalités, de la précarité, des handicaps et de nouvelles violences.
C’est pour les filles le premier facteur de risque de subir des violences conjugales et sexuelles à l’âge adulte. C’est pour les garçons le premier facteur de risque d’exercer des violences à l’âge adulte (OMS, 2010 ; Fulu, 2017).
La violence s'exerce avant tout sur les personnes en situation d'inégalités et de discriminations (enfants, femmes, personnes handicapées, racisées, etc.), et elle aggrave les inégalités et les disciminations. Elle est un facteur majeur d'injustice sociale.
La violence s'exerce avant tout sur les personnes en situation d'inégalités et de discriminations (enfants, femmes, personnes handicapées, racisées, etc.), et elle aggrave les inégalités et les disciminations. Elle est un facteur majeur d'injustice sociale.
Le cerveau des enfants est très vulnérable aux violences et au stress extrême. Destructrices et traumatisantes, les violences ont de très lourdes répercussions sur la vie, le développement, le comportement, la scolarité et la santé des enfants, entraînant des atteintes physiques, psychiques et neurologiques, endocriniennes et immunitaires, avec pour conséquence une perte considérable de leurs capacités à se développer et à se réaliser comme ils auraient souhaité le faire. Ces conséquences ont un impact qui se prolonge tout au long de leur vie.
Dans le monde, un enfant sur quatre a subi des violences physiques, une fille sur cinq et un garçon sur treize des violences sexuelles, un enfant sur trois des violences psychologiques (Enquête Hillis citée par l’OMS 2016).
En France, nous avons très peu de chiffres et pas encore d’enquête de victimation directe auprès des enfants. Cependant, à partir de d’enquêtes faites auprès d’adultes qui rapportent les violences subies dans leur enfance, on peut estimer que chaque année plus de 150 000 enfants subissent des maltraitances physiques, 124 000 filles et 30 000 garçons subissent des viols ou des tentatives de viols (CSF 2008, CVS-ONDRP 2012-2015), 140 000 enfants sont exposés à des violences conjugales (CVS-ONDRP 2012-2015), et plus de 300 enfants sont tués (Turz, 2010).
Or, la très grande majorité des enfants victimes de violences ne sont jamais protégés, ni reconnus. Ils n’ont que rarement accès à la justice et à des réparations. Leurs traumatismes psychiques ne sont presque jamais pris en charge, les professionnels de la santé ne sont que trop rarement formés à cette problématique, et l’offre de soin est très insuffisante sur tout le territoire, se réduisant à quelques rares centres de soins spécialisés en psychotraumatologie.
Pour ces enfants, cette absence de protection et de prise en charge spécialisées est une lourde perte de chance en terme de santé et d’intégration sociale tout au long de leur vie. Elle entraîne de très importantes souffrances, et elle les condamne à survivre en mettant en place des stratégies de survie coûteuses, aliénantes, handicapantes et sources d’inégalités ; elle restreint gravement leur liberté et leur possibilités de construire leurs projets de vie.
Cette perte de chance est d’autant plus scandaleuse que les soins sont efficaces et libérateurs, ils permettent d’éviter la répétition des violences et la plupart des conséquences à long terme (les atteintes neurologiques se réparent).
Avoir subi des violences dans l’enfance, comme l’ont démontré de grandes études épidémiologiques internationales sur les ACE (Adverse Childhood Experiences) depuis 1998 (Felitti et Anda, 1998, 2010, Hillis, 2016, Brown, 2009, Fulu, 2017) :
- est la principale cause de décès précoce à l’âge adulte,
- est le déterminant principal de la santé 50 ans après,
- et peut faire perdre 20 ans d’espérance de vie.
- est la principale cause de décès précoce à l’âge adulte,
- est le déterminant principal de la santé 50 ans après,
- et peut faire perdre 20 ans d’espérance de vie.
C’est également le principal risque, tout au long de sa vie :
- de faire des tentatives de suicides,
- d’être alcoolique, toxicomane, tabagique,
- d’être obèse,
- d’avoir des comportements à risque,
- de faire des dépressions,
- de se retrouver en situation de précarité, et de marginalisation,
- et de subir de nouvelles violences ou d’en commettre, comme nous l’avons vu.
- de faire des tentatives de suicides,
- d’être alcoolique, toxicomane, tabagique,
- d’être obèse,
- d’avoir des comportements à risque,
- de faire des dépressions,
- de se retrouver en situation de précarité, et de marginalisation,
- et de subir de nouvelles violences ou d’en commettre, comme nous l’avons vu.
Ces risques sont gradués en fonction de la gravité des violences et de leur nombre. De très forts liens sont également retrouvés avec de nombreuses maladies organiques : cardio-vasculaires, auto-immunes, etc.
Ces effets destructeurs des violences ne sont pas une fatalité, protéger et soigner ces enfants victimes leur permet de recouvrer une bonne santé et une égalité de chance. Et, il n’est jamais trop tard pour prendre en charge les conséquences psychotraumatiques de ces violences, les adultes victimes dans leur enfance doivent pouvoir accéder à des soins spécialisés quel que soit leur âge.
Protéger et soigner les enfants victimes de violences c’est lutter contre toutes les formes de violences et de délinquances (violences conjugales, sexuelles, au travail, terrorisme, etc.), mais également contre les inégalités et les injustices sociales.
Le premier plan de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants lancé le 2 mars 2017, est un premier pas, mais il nécessite d’être encore bien plus ambitieux et soutenu par une volonté politique forte et par l’octroi d’un budget à la hauteur de la gravité et l’urgence de l’enjeu.
Je vous remercie beaucoup de l’attention que vous voudrez bien porter à cette lettre, et j’espère que vous serez sensible à ces arguments, je suis à votre disposition pour vous donner toutes les informations complémentaires que vous souhaiterez.
Je vous prie de bien vouloir agréer monsieur le Président de la République l’expression de mon profond respect et de ma très haute considération.
Docteure Muriel Salmona
Psychiatre, psychotraumatologue,
Présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie,
drmsalmona@gmail.com
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