Avec l'AVFT : l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail) et toute son expérience auprès des victimes et son analyse juridique et féministe des violences sexuelles, du sexisme et de la domination patriarcale dans le monde du travail, et des stratégies des agresseurs, des victimes de harcèlement et d'agressions sexuelles au travail dont Aline Rigaud (affaire Ducray à l'origine de la QPC et de l'abrogation de l'article de loi sur le harcèlement sexuel)
et une brève interview de la dre Muriel Salmona (présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie ) sur les conséquences psychotraumatiques et de sa rencontre (en vue de collaborer à des recherches communes et de publier ensemble ) avec la chercheure Aline Desmedt ( du centre INSERM de neurosciences de Bordeaux) qui vient de publier dans la prestigieuse revue internationale Science des travaux fondamentaux sur la mémoire traumatique et les amnésies traumatiques. Pour en savoir plus sur ces recherches : http://stopauxviolences.blogspot.fr/2012/04/journee-de-collaboration-avec-le-centre.html
Clarisse Feletin : “Il y a déni social et juridique à propos du harcèlement sexuel”
ENTRETIEN DE TÉLÉRAMA | Pour France 2, Clarisse Feletin signe un documentaire exceptionnel sur un tabou majeur du monde du travail. “Sexe, mensonges et harcèlement” est diffusé ce mardi 4 septembre.
Le 26/07/2012 à 00h00 - Mis à jour le 03/09/2012 à 15h00
Attouchements, gestes déplacés et obscènes, propositions équivoques à caractère sexuel, envois de SMS et d'images pornographiques…, les femmes qui témoignent dans cette enquête de Clarisse Feletin en ont toutes subis. Longtemps resté tabou, le harcèlement sexuel reste un délit difficile à prouver devant les tribunaux : seuls trente-cinq harceleurs ont été condamnés en 2010 sur mille plaintes déposés en France. Grâce à l'aide des juristes de l'AVFT (l'Association européenne contre les Violences faites aux femmes au travail), Manon, Sophie, Aline et les autres tentent de faire reconnaître les violences qui ont brisé leur vie. Engagée auprès d'elles, la réalisatrice Clarisse Feletin revient pour nous sur ce tournage émaillé de rebondissements.
Comment avez-vous convaincu des femmes de s’exprimer?
Par le biais de l’AVFT et grâce à Marilyn Baldeck, déléguée générale de cette structure, j’ai pu assister aux premières démarches de ces femmes harcelées. Elles racontaient le drame qu’elles avaient vécu, face aux membres de l’association. Celles-ci, très carrées, rigoureuses, prenaient des notes, vérifiaient les faits et tentaient de comprendre les stratégies des harceleurs qui agissent de façon calculatrice, à l'écart de tout témoin. Cette phase est très pénible pour ces femmes, mais elles sont sensibles à un argument majeur : les décisions de justice, qu’elles obtiennent à l’arrachée, permettent de faire évoluer la jurisprudence. Plusieurs disent « je ne veux plus que mon harceleur recommence » ou « je n’aimerais pas que cela arrive à ma fille ». Dénoncer leur agresseur devient pour ces victimes un combat à la fois personnel et collectif, avec une portée sociale. Quant à la présence de la caméra, c’était très délicat. Elles prennent déjà des risques en déposant plainte, alors montrer leur visage…! Je les ai laissées très libres face à ce choix. Je ne leur ai jamais mis la pression, car j’ai un grand respect pour leur situation.
Comment avez-vous convaincu des femmes de s’exprimer?
Par le biais de l’AVFT et grâce à Marilyn Baldeck, déléguée générale de cette structure, j’ai pu assister aux premières démarches de ces femmes harcelées. Elles racontaient le drame qu’elles avaient vécu, face aux membres de l’association. Celles-ci, très carrées, rigoureuses, prenaient des notes, vérifiaient les faits et tentaient de comprendre les stratégies des harceleurs qui agissent de façon calculatrice, à l'écart de tout témoin. Cette phase est très pénible pour ces femmes, mais elles sont sensibles à un argument majeur : les décisions de justice, qu’elles obtiennent à l’arrachée, permettent de faire évoluer la jurisprudence. Plusieurs disent « je ne veux plus que mon harceleur recommence » ou « je n’aimerais pas que cela arrive à ma fille ». Dénoncer leur agresseur devient pour ces victimes un combat à la fois personnel et collectif, avec une portée sociale. Quant à la présence de la caméra, c’était très délicat. Elles prennent déjà des risques en déposant plainte, alors montrer leur visage…! Je les ai laissées très libres face à ce choix. Je ne leur ai jamais mis la pression, car j’ai un grand respect pour leur situation.
Simple jeu de séduction, drague lourde, ou vrai délit et fléau social : comment le harcèlement sexuel est-il perçu dans la société française ?
Je crois qu’en France, il y a un double déni, social et juridique, et une forme d’aveuglement au sujet de cette question a contrario largement prise en compte dans nombre d’autres pays aujourd’hui. En Israël, par exemple, le coût du harcèlement sexuel a été estimé à 200 millions de dollars : les victimes souffrent de dépression et passent parfois des mois en arrêt maladie. Aux Etats-Unis, ce délit au travail est pris en compte par les employeurs qui en font mention dans les contrats de travail. En France, on en est loin : cela reste une question tabou. Tant que les employeurs ne prendront aucune sanction au niveau de leur entreprise, les femmes sont obligées de saisir la justice. Ce qui entraîne pour elles des frais d’avocats. La majorité de ces femmes ont été mises au placard ou virées. Certaines ne peuvent plus payer leurs loyers. En France, l’enjeu de ce débat n’est pas que judiciaire : il faut que le monde du travail et les ressources humaines dans les entreprises prennent conscience que c’est grave.
Je crois qu’en France, il y a un double déni, social et juridique, et une forme d’aveuglement au sujet de cette question a contrario largement prise en compte dans nombre d’autres pays aujourd’hui. En Israël, par exemple, le coût du harcèlement sexuel a été estimé à 200 millions de dollars : les victimes souffrent de dépression et passent parfois des mois en arrêt maladie. Aux Etats-Unis, ce délit au travail est pris en compte par les employeurs qui en font mention dans les contrats de travail. En France, on en est loin : cela reste une question tabou. Tant que les employeurs ne prendront aucune sanction au niveau de leur entreprise, les femmes sont obligées de saisir la justice. Ce qui entraîne pour elles des frais d’avocats. La majorité de ces femmes ont été mises au placard ou virées. Certaines ne peuvent plus payer leurs loyers. En France, l’enjeu de ce débat n’est pas que judiciaire : il faut que le monde du travail et les ressources humaines dans les entreprises prennent conscience que c’est grave.
Durant le tournage, coup de théâtre : le 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel abroge l'article 22-333 du Code Pénal qui condamnait le harcèlement sexuel…
En effet, la loi a été jugée anticonstitutionnelle au motif que la définition du harcèlement sexuel était trop floue. C'est Gérard Ducray, ancien secrétaire d'Etat sous Valéry Giscard d'Estaing, ex-député et actuel conseiller municipal de Villefranche-sur-Saone, condamné en appel pour harcèlement sexuel envers Aline Rigaud, qui a obtenu l'abrogation de la loi après avoir posé une QPC (question prioritaire de constitutionnalité). Par l'annulation de cette infraction, quelque deux mille femmes ont vu l'extinction des procédures pénales qu'elles avaient entamées. Les cinq femmes que je filmais ont toutes très mal vécu ce nouveau coup dur, ressenti comme une terrible injustice et la négation de leur souffrance.
Depuis, le 6 août dernier, une nouvelle loi sur le harcèlement sexuel a été promulguée. Aline Rigaud (la seule à témoigner à visage découvert, ndrl), Sophie, Najat, Manon et Aurélia pourront-elles reporter plainte ?
Non, car on ne peut pas porter plainte deux fois pour les mêmes faits. Le seul recours maintenant pour ces femmes qui ne peuvent plus aller au pénal, c'est de déclencher une procédure civile au sein du même tribunal correctionnel sur le fondement de l'article 1382, c'est-à-dire sur la responsabilité de quelqu'un « qui cause un dommage à autrui ». Dans le cas de cette procédure, elles pourront peut-être obtenir des dommages et intérêts pour préjudice moral et matériel. Mais dans tous les cas, cela demeure une mesure cosmétique et limitée concernant uniquement les affaires qui étaient renvoyées au tribunal. En revanche, toutes les affaires qui en étaient au stade de l'enquête préliminaire et de recherche de la preuve (la police doit convoquer le harceleur présumé, organiser une confrontation…) tombent à l'eau.
Y a-t-il des améliorations avec cette nouvelle loi du 6 août 2012 ?
Oui. Dans l'ancienne loi, un vol simple était trois fois plus puni que le harcèlement : maintenant, il y a égalité entre le harcèlement et le vol (jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende). Donc il y a un progrès. Par ailleurs, cette nouvelle loi est beaucoup plus précise et plus large que la précédente (le harcèlement moral est plus sévèrement puni, tout comme d'autres discriminations comme la transphobie (attitude agressive envers les transsexuels, ndlr). Le législateur a impulsé un mouvement, appuyé par la circulaire Taubira du 7 août. Maintenant, c'est aux juges de faire leur travail. Il faut que l'ensemble de la société prenne conscience que le harcèlement est grave et destructeur.
En effet, la loi a été jugée anticonstitutionnelle au motif que la définition du harcèlement sexuel était trop floue. C'est Gérard Ducray, ancien secrétaire d'Etat sous Valéry Giscard d'Estaing, ex-député et actuel conseiller municipal de Villefranche-sur-Saone, condamné en appel pour harcèlement sexuel envers Aline Rigaud, qui a obtenu l'abrogation de la loi après avoir posé une QPC (question prioritaire de constitutionnalité). Par l'annulation de cette infraction, quelque deux mille femmes ont vu l'extinction des procédures pénales qu'elles avaient entamées. Les cinq femmes que je filmais ont toutes très mal vécu ce nouveau coup dur, ressenti comme une terrible injustice et la négation de leur souffrance.
Depuis, le 6 août dernier, une nouvelle loi sur le harcèlement sexuel a été promulguée. Aline Rigaud (la seule à témoigner à visage découvert, ndrl), Sophie, Najat, Manon et Aurélia pourront-elles reporter plainte ?
Non, car on ne peut pas porter plainte deux fois pour les mêmes faits. Le seul recours maintenant pour ces femmes qui ne peuvent plus aller au pénal, c'est de déclencher une procédure civile au sein du même tribunal correctionnel sur le fondement de l'article 1382, c'est-à-dire sur la responsabilité de quelqu'un « qui cause un dommage à autrui ». Dans le cas de cette procédure, elles pourront peut-être obtenir des dommages et intérêts pour préjudice moral et matériel. Mais dans tous les cas, cela demeure une mesure cosmétique et limitée concernant uniquement les affaires qui étaient renvoyées au tribunal. En revanche, toutes les affaires qui en étaient au stade de l'enquête préliminaire et de recherche de la preuve (la police doit convoquer le harceleur présumé, organiser une confrontation…) tombent à l'eau.
Y a-t-il des améliorations avec cette nouvelle loi du 6 août 2012 ?
Oui. Dans l'ancienne loi, un vol simple était trois fois plus puni que le harcèlement : maintenant, il y a égalité entre le harcèlement et le vol (jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende). Donc il y a un progrès. Par ailleurs, cette nouvelle loi est beaucoup plus précise et plus large que la précédente (le harcèlement moral est plus sévèrement puni, tout comme d'autres discriminations comme la transphobie (attitude agressive envers les transsexuels, ndlr). Le législateur a impulsé un mouvement, appuyé par la circulaire Taubira du 7 août. Maintenant, c'est aux juges de faire leur travail. Il faut que l'ensemble de la société prenne conscience que le harcèlement est grave et destructeur.
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Clarisse Feletin, journaliste, a dénoncé le scandale de l’usine d’incinération d’ordures ménagères de Gilly-sur-Isère (La journaliste, la juge et la dioxine, 2010), puis suivi les affres de la maison Descamps placée en redressement judiciaire (Sauve qui peut, 2012).
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