mardi 26 novembre 2024

POUR OUVRIR LES YEUX SUR L'INCESTE un texte de Muriel Salmona à propos de L’histoire d’un vilain rat de Bryan talbot publiée par Delirium Un livre à mettre dans toutes les mains


 

 

 POUR OUVRIR LES YEUX SUR L'INCESTE 

Un livre à mettre dans toutes les mains

texte de Muriel Salmona

psychiatre, présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie

La magnifique traduction française L’histoire d’un vilain rat de la création de Bryan Talbot The Tale of one Bad Rat, publiée par Delirum nous fait découvrir une bande dessinée bouleversante, d’une très grande sensibilité et d'une incroyable justesse qui, avec une force d’évocation, nous agrippe et nous plonge dans l’univers mental d’une adolescente  dont la vie a été fracassée par un inceste paternel. Elle nous fait approcher au plus près de ce que sont les violences sexuelles faites aux enfants et de la gravité de leurs conséquences psychotraumatiques,. En apnée nous suivons l’odyssée d’Helen qui, après avoir fugué pour fuir l’horreur, se retrouve à devoir survivre seule à la fois face aux dangers mortels de la rue où de nombreux prédateurs rôdent, et face aux dangers psychiques que représentent la mémoire traumatique principal symptôme psychotraumatique, avec ses intrusions, ses flashbacks, ses cauchemars fait revivre sans cesse, comme une machine infernal à remonter le temps les pires scènes de ce qu’elle a subies avec les mêmes émotions, la mêmes terreurs et la même volonté implacable et cruelles de la détruire dans des scénarios de mort qu’il lui faut sans cesse contenir ou fuir. On la suit dans ses périples effrayants au milieu d’adultes indifférents, insensibles ou menaçants, on la voit se raccrocher avec détermination à quelques bribes de vie grâce à de belles et fugaces rencontres improbables et impossibles, et surtout grâce son petit rat, son seul fidèle compagnon  de route. La mort de ce dernier le transforme en un compagnon imaginaire géant et protecteur qui va la guider dans les pas de l’auteure de livres pour enfants Beatrix Potter avec pour fil rouge l’histoire métaphorique du vilain petit rat qui comme elle dont elle partage le même prénom, fuit une famille où il est menacé en permanence d’être croqué par un chat monstrueux le vieux Griffu, échappe à de grands dangers, fait une belle rencontre qui lui permettra de vaincre le chat monstrueux qui collectionne un grand nombres de victimes et en en débarrassant toute la population de passer du statut de vilain petit rat à celui de héros. Dans cette quête de beauté avec de merveilleux paysages, de vérité, de justice et de cohérence, elle rencontrera une nouvelle famille avec un couple bienveillant et protecteur qui lui permettront de briser le silence , de retrouver une estime de soi et d’avoir la force de confronter son père à ce qu’il lui a fait, à ses mensonges et à ses manipulations et de s’en libérer.


The Tale of one Bad Rat est un livre précurseur qui permet d’ouvrir les yeux sur les réalités indicibles de l’inceste, sur des dénis accumulés depuis la nuit des temps dont on sort à peine en 2025 et qui ont relégués tant et tant d’enfants victimes de violences sexuelles dans une solitude glaçante et un silence de mort, sans secours ni soutien, sans aucune reconnaissance ni accès à une protection, à des soins  et à la justice. Les grandes enquêtes internationales et nationales nous révèlent des chiffres d’une ampleur effarante, un enfant sur 5 (en très grande majorité des filles) sont victimes de violences sexuelles commises presque exclusivement par des hommes, dans la moitié des cas il s’agit de violences sexuelles incestueuses commises par des membres de la famille, délaissant aucune chance aux enfants d’y échapper. Ce sont au moins 160 000 enfants qui subissent chaque année des violences sexuelles. Ces violences sexuelles sont de graves violations des droits des enfants qui sont reconnues par le droit européen comme des actes cruels, dégradants et inhumains.


Cela reste encore peu connu mais les enfants sont les principales victimes de ces violences. Les violences sexuelles contrairement à ce que les agresseurs essaient de faire croire ne sont pas du désir ni des pulsions sexuelles, elles n’ont rien à voir avec de l’amour ce sont des armes de destruction qui réduisent les victimes à des objets. Elles sont toujours exercées dans le cadre d’un rapport de force et d’autorité sur des personnes avant tout vulnérables (et plus les enfants sont en situation de vulnérabilité, plus le risque que les enfants subissent des violences sexuelles, les enfants en situation de handicap subissent jusqu’à 5 fois plus de violences, 6 fois s’ils sont autistes). Quand il s’agit de parents ou de personnes de confiance elles représentent pour l’enfant, en plus de l’extrême violence et du traumatisme qu’elles entraînent, une trahison et abandon qui le fait basculer dans un néant glacé, seul sans repère, sans cohérence, disloqué, déconnecté de son corps, de son histoire, de sa mémoire et du monde qui l’entoure, colonisé par des images, des sensations, et des émotions incompréhensibles, avec un sentiment de vide et de mort intérieure.


Elles sont très traumatisantes et entraînent de graves conséquences à long terme sur la vie et la santé physique et mentale des victimes si elles ne sont pas protégées et soignées (cela peut être le déterminant principal de la santé même 50 ans après aves des risques importants de troubles anxieux, de dépressions, de suicides, de conduites addictives, de troubles alimentaires et de maladies liés au stres si rien n’est fait pour protéger et soigner ces enfants victimes de violences sexuelles). Les violences sexuelles sont celles qui entrainent le plus de conséquences psychotraumatiques (dans plus de 80% des cas pour les enfants). Ces psychotraumas sont des réactions normales, universelles à des violences qui génèrent non seulement des blessures psychiques mais également neurologiques avec des dysfonctionnements importants des circuits émotionnels et de la mémoire, et des atteintes de certaines structures corticales (visibles sur des IRM, et qui sont heureusement réversibles grâce à la neuroplasticité du cerveau si la victime bénéficie de soins appropriés et d’un contexte bienveillant et sécurisant).

 Que se passe-t-il ?

 Lors de ces violences inconcevables des mécanismes de survie neuro-biologiques se déclenchent chez la victime pour échapper au risque psychologique, cardiologique et neurologique provoqué par une terreur et un stress extrême impossible à contrôler par le cerveau du fait d’un état de sidération et de paralysie psychique de celui-ci. Cet état de sidération qui empêche la victime de crier, de réagir et de se débattre, est provoqué par le caractère insensé, inconcevable et terrorisant des violences.

 

Ces mécanismes de survie pour échapper au stress extrême sont assimilables à une disjonction (avec production par le cerveau de drogues dures endogènes proches d’un cocktail morphine-kétamine) du circuit émotionnel et de la mémoire qui «éteignent» le stress et entraînent un état dissociatif avec une anesthésie émotionnelle. Cet état dissociatif donne la sensation d’être absent, déconnecté et spectateur de la situation, comme indifférent. La disjonction est également à l’origine des troubles de la mémoire par interruption des circuits d’intégration de la mémoire : avec des amnésies partielles ou complètes et surtout une mémoire traumatique. Cette mémoire traumatique est une mémoire émotionnelle des violences contenue dans l’amygdale cérébrale (structure cérébrale sous-corticale à l’origine de la réponse émotionnelle) qui n’a pas pu être intégrée par l’hippocampe (logiciel de la mémoire et du repérage temporo-spatial) en mémoire autobiographique, celui-ci étant déconnecté. Elle contient non seulement les violences, leur contexte, les émotions, les douleurs et les sensations ressenties par la victime, mais également l’agresseur, sa mise en scène, ses paroles, sa haine, son mépris, son excitation. Tout y est mélangé, sans identification, ni tri, ni contrôle possible. Au moment des violences cette indifférenciation empêchera la victime de faire une séparation entre ce qui vient d’elle et de l’agresseur, elle pourra à la fois ressentir une terreur qui est la sienne, associée à une excitation et une jouissance perverses qui est celle de l’agresseur. De même il lui sera impossible de se défendre des phrases mensongères et assassines de l’agresseur : «tu aimes ça», «c’est ce que tu veux», «c’est ce que tu mérites», elles s’installeront telles quelles dans l’amygdale cérébrale. Après les violences, cette mémoire traumatique y restera piégée. Cette mémoire traumatique est une véritable torture, elle fait revivre à l’identique, lors de réminiscences, flash-backs et cauchemars qui envahissent le psychisme, les scènes de violences et la mise en scène de l’agresseur, avec les mêmes émotions (terreur, détresse, douleurs, sentiment de n’avoir aucune valeur, d’être nié, de n’avoir aucun droit, d’avoir mérité ces violences, etc.) comme une machine infernale à remonter le temps.

Sans soin spécifique, avec la mémoire traumatique, les violences sexuelles et l’agresseur continuent à coloniser et à hanter le psychisme de la victime, à la torturer et à la piéger dans une peur et une insécurité permanente. Comme une bombe à retardement elle risque d’exploser des années, voire des dizaines d’années après, au moindre lien qui rappelle les violences. Une situation anodine comme un lieu, une sensation, une odeur ou quelqu’un qui vous touche sans mauvaise intention et des images et des sensations atroces et insupportables surgissent et viennent envahir tout le champs psychique et font que ces situations ou ces gestes deviennent impossibles.

Avec cette mémoire traumatique, les victimes contre leur gré se retrouve à revivre sans cesse les pires instants de terreur, de douleur, de désespoir, comme une torture sans fin, avec des sensations soudaines d'être en grand danger, d'être écrasés, de suffoquer, de perdre connaissance, de mourir, d'avoir la tête ou le corps qui explose, d’être envahi par des douleurs intenses. Avec elles, l'agresseur reste éternellement présent à leur imposer les mêmes actes atroces, les mêmes phrases assassines, la même souffrance délibérément induite, la même jouissance perverse à les détruire, leurs mêmes mises en scène mystificatrices avec une haine, un mépris, des injures, et des propos qui ne les concernent en rien.

Les victimes sont obligées de se construire avec ces émotions et ces sensations de terreur, avec ces actes et ces propos pervers, à devoir lutter contre eux et les contrôler, sans souvent les comprendre et sans ne plus savoir où se trouve la ligne de démarcation entre elles et cette mémoire traumatique. La mémoire traumatique les hante, les exproprie et les empêche d'être elles-mêmes pire elle leur fait croire qu'elles sont doubles, voire triples : une personne normale (ce qu'elles sont), une moins que rien qui a peur de tout, qui ne vaut rien et une coupable dont elles ont honte (ce que l'agresseur a mis en scène et qu'elles finissent par intégrer puisque cela tourne en boucle dans leur tête), une personne qui pourrait devenir violente et perverse et qu'il faut sans cesse contrôler, censurer (ce même agresseur avec sa violence, son excitation et sa jouissance perverse tellement présentes et envahissantes à l'intérieur d'elles- même qu'elles finissent par se faire peur en le confondant avec elles-mêmes). Cette colonisation par l’agresseur génère chez les victimes une atteinte grave de l’estime de soi, et la sensation d’être étrangère à elles-mêmes. Elles se retrouvent à se haïr, se mépriser, se dénigrer, s’injurier, s’accuser comme l’a fait l’agresseur au moment des violences, à considérer qu’elles n’ont aucun droit, juste celui de s’écraser ou de disparaître... Tout se passe comme si l’agresseur les avait programmées, avec cette mémoire traumatique qu’il a crée, pour devenir leur pire ennemi : une torture à vie, si rien n’est fait pour déconstruire ce système, et libérer les victimes de cet enfer par des soutiens, des soins et une solidarité sans faille pour remettre le monde à l’endroit.

Les enfants victimes traumatisés tant qu’ils ne sont pas protégés ni pris en charge, sont condamnés à mettre en place des stratégies de survie handicapantes et épuisantes. Pendant les violences et tant que l’enfant est exposé à l’agresseur, deux mécanismes principaux sont mis en place pour y survivre :

un mécanisme d’adaptation pour éviter la survenue de violences et le risque de rejet et d’abandon, les enfants s’hyperadaptent à leurs agresseurs et pour cela ils s’identifient à eux, ils apprennent à percevoir et à anticiper leurs moindres changements d’humeur. Ils deviennent de véritables scanners, capables de décrypter et d’anticiper les besoins de leurs bourreaux. Il est essentiel que ceux-ci ne soient jamais contrariés, ni énervés, ni frustrés, il faut donc les connaître parfaitement, être en permanence attentifs à ce qu’ils font, à ce qu’ils pensent. Ce phénomène peut donner l’impression aux enfants d’être très attachés à leurs bourreaux puisque ces derniers prennent toute la place dans leur tête (syndrome de Stockholm). Les enfants peuvent croire que leurs agresseurs comptent plus que tout pour eux (c’est ce que leur rappelle sans cesse l’agresseur : «je suis tout pour toi, sans moi tu n’es rien...»), et que ce qu’ils ressentent est un sentiment d’amour alors que c’est une réaction d’adaptation à une situation de mise sous terreur.
un mécanisme neuro-biologique de protection face au stress extrême et à des situations intolérables, qui se met en place automatiquement : la dissociation. Ils sont alors déconnectés de leurs émotions, avec une anesthésie émotionnelle et un seuil de douleur est très augmenté. Ils se retrouvent à fonctionner sur un mode automatique, comme robotisés, détachés d’eux-mêmes, comme s’ils étaient spectateurs. Cela entraîne une pseudo-tolérance à l’intolérable : «même pas mal !». Tant que dure cette dissociation, la situation paraît irréelle et il est très difficile pour les enfants d’arriver à identifier la gravité des violences qu’ils subissent. De plus cette dissociation traumatique fera que face aux agresseurs ou à toute autre personne, les enfants paraîtront indifférents à leur sort, inertes, puisqu’ils seront coupés de leurs émotions. Nous avons tous la capacité de percevoir de façon innée les émotions d’autrui, grâce à des neurones miroirs, mais si les émotions de la personne qui nous fait face sont anesthésiées, nous ne ressentirons rien émotionnellement, ce n’est qu’intellectuellement que l’on pourra identifier la souffrance de cette personne, mais encore faut-il être informé de l’existence de cette dissociation (dans le film Polisse nous assistons à une scène de ce type avec la jeune ado qui a été obligée de faire des fellations à plusieurs garçons pour récupérer son portable, elle semble si indifférente à la situation que les policiers se permettent de lui faire la leçon et même de se moquer d’elle en lui posant la question : «et si on t’avait pris ton ordinateur portable qu’est-ce que t’aurais fait ?» et toute la salle de cinéma d’éclater de rire...). Grâce à cette dissociation les agresseurs ne sont pas gênés par des signaux de détresse trop importants de leurs victimes, c’est très dangereux pour les enfants car les actes violents pourront devenir de plus en plus extrêmes, sans qu’ils puissent y réagir (en revanche l’anesthésie émotionnelle ne les empêchera pas d’être encore plus traumatisés). De même les proches ne détecteront pas facilement la détresse et la souffrance des enfants, et passeront d’autant plus à côté. Enfin, cette dissociation est un facteur de risque important d’être maltraité, de devenir le souffre-douleur de tout le monde.

Après les violences et à distance de l’agresseur, les enfants sortent de leur état dissociatif permanent mais la mémoire traumatique prend le relais et ils continuent d’être colonisés par les violences et l’agresseur aussitôt qu’un lien les rappelle (lieu, situation, sensation, émotion,...), et c’est à nouveau insupportable, crée un sentiment d’insécurité et de peur permanente et donne l’impression de sombrer dans la folie. Les victimes traumatisées doivent alors essayer d’éviter à tout prix cette cette mémoire traumatique, pour cela deux stratégies sont possibles :

 des conduites d’évitement, de contrôle, d’auto-censures pour l’empêcher de s’allumer, tout ce qui peut rappeler les violences ou l’agresseur est évité, de même que tout stress ou toute douleur, avec des comportements phobiques, des lavages incessants, des vérifications, etc. Les enfants se construisent souvent un petit monde sécurisé où ils ne se sentent pas en danger qui peut être un monde physique (comme leur chambre, entourés d’objets, de peluches ou d’animaux qui les rassurent) ou mental (un monde parallèle où ils se réfugient continuellement), tout changement sera perçu comme menaçant car mettant en péril les repères mis en place. Mais ces conduites d’évitement ont leurs limites, les enfants surtout quand ils deviennent adolescents ou jeunes adultes vont devoir s’exposer, avancer, prendre de l’autonomie et «mettre les pieds sur des mines» et risquer ainsi de subir une «explosion» de leur mémoire traumatique, la deuxième stratégie devient alors nécessaire.
des conduites à risque pour s’anesthésier en provoquant coûte que coûte cette dissociation en faisant monter le niveau de stress. Soit en revenant vers l’agresseur qui fera aussitôt disjoncter la victime et l’anesthésiera (ce qui peut s’apparenter à une pseudo-dépendance), ou bien en "re-jouant" physiquement ou en imagination compulsivement une scène de violence comme s’il était présent, en s’auto-agressant, en se mettant en grand danger ou en tentant de se tuer. La victime sera alors perçue en toute injustice comme consentante, masochiste ou co- auteure des violences subies… Les conduites à risque dissociantes dont les victimes expérimentent rapidement l'efficacité permettent de calmer un état de tension intolérable, ou prévenir sa survenue en s’anesthésiant à l’avance, en provoquant une disjonction comme lors des violences. Cette disjonction provoquée peut se faire de deux façons, soit en provoquant un stress très élevé qui augmentera la quantité de drogues dissociantes sécrétées par l'organisme, soit en consommant des drogues dissociantes (alcool, stupéfiants, médicaments à haute dose). Ces conduites à risques dissociantes peuvent être des conduites auto-agressives (se frapper, se mordre, se brûler, se scarifier, tenter de se suicider), des mises en danger (conduites routières dangereuses, jeux dangereux, sports extrêmes, conduites sexuelles à risques, situations prostitutionnelles, fugues, fréquentations dangereuses), des conduites addictives (consommation d'alcool, de drogues, de médicaments, troubles alimentaires, jeux addictifs), des conduites délinquantes et violentes contre autrui (l'autre servant alors de fusible grâce à l'imposition d'un rapport de force pour disjoncter et s’anesthésier). Les conduites dissociantes rechargent aussi la mémoire traumatique, la rendant toujours plus explosive, les conduites dissociantes sont alors toujours plus nécessaires, créant une véritable addiction aux mises en danger et/ou à la violence. Ces conduites dissociantes qui s’imposent sont incompréhensibles et paraissent paradoxales à tout le monde (à la victime, à ses proches, aux professionnels). Elles peuvent entraîner un état dissociatif permanent comme lors des violence avec la mise en place d’un détachement et d’une indifférence apparente qui les mettent en danger d’être encore moins secourues et d’être ignorées et maltraitées. Elles sont chez les victimes à l'origine de culpabilité et d'une grande solitude, qui les rendent encore plus vulnérables.

Du fait de ces stratégies de survie une victime de violences sexuelle dans l’enfance peut en grandissant osciller entre une impossibilité ou une très grande difficulté d’avoir une vie amoureuse et sexuelle avec une personne qu’il aime, la plupart des gestes d’un acte sexuel entraînant des réminiscences traumatiques les rendant insupportables ou très angoissant, à tel point qu’un rapport sexuel ne sera possible qu’en étant dissocié (drogué, alcoolisé ou après s’être stressé par des images mentales violentes). et lors de situations de grand un mal-être, des conduites à risques sexuelles, avec des rencontres avec des inconnus sans protection, avec des actes sexuels violents (auto-agressifs ou dans le cadre de pratiques «sado-masochistes»), des mises en danger sur internet ou avec des personnes manifestement perverses, voire même des pratiques prostitutionnelles, pour se dissocier.

De plus l’état dissociatif quasi permanent dans lequel se retrouve les victimes leur donne la douloureuse impression pour les victime de n’être pas elles- mêmes, d’être « as if », comme dans une mise en scène permanente. L’anesthésie émotionnelle les oblige à «jouer» des émotions dans les relations avec les autres, avec le risque de n’être pas tout en fait en phase, de sur ou sous jouer.

Des risques d’auto-agressions, de suicides, et de subir à nouveau des violences ou d’en reproduire. La mémoire traumatique et les conduites dissociantes peuvent être à l’origine de risque vitaux, avec un risque décuplé de mourir précocément d’accidents (avec les mises en danger) ou de suicides. Dans toutes les enquêtes de victimation  au moins 50% des victimes ont fait des tentatives de suicide.

Si certaines tentatives de suicide peuvent être liée à une volonté d’en finir avec une vie de souffrance, la plupart sont dues à l’envahissement par la volonté destructrice et criminelle de l’agresseur qui fait soudain basculer une personne victime dans un passage l’acte reproduisant la mise en scène et la haine subies lors des violences : «Tu ne vaux rien, tu n’es rien, tu ne mérites pas de vivre, tu es indigne, tu n’es qu’un déchet à jeter, etc.» ce qui fait penser.

Du fait de ces conduites dissociantes à risque, laisser des victimes de violences traumatisées sans soin est un facteur de risque de reproduction de violences de proche en proche et de générations en générations, les victimes présentant un risque important de subir à nouveau des violences, et aussi d’en commettre pour un petit nombre d’entre elles, ce qui suffit à alimenter sans fin un cycle des violences (cf. Lutter contre les violences passe par la protection et le soin des victimes ). L’OMS a reconnu depuis 2010 que le facteur principal pour subir ou commettre des violences est d’en avoir déjà subi.

Mais ces violences ne sont pas une fatalité et nous pouvons les prévenir et lutter efficacement contre elles.

Il y a encore en France une tradition de sous-estimation des violences faites aux mineurs, de leur gravité et de leur fréquence. Une tradition de banalisation d'une grande partie de celles-ci, à laquelle nous l’avons vu, s'ajoute une méconnaissance de la gravité des conséquences sur la santé des violences. Il y a également une méconnaissance des conséquences sociales des violences sur l'apprentissage, sur les capacités cognitives, sur la socialisation, sur les risques de conduites asociales et de délinquance, sur les risques d'être à nouveau victime de violences ou d'en être auteur et une stigmatisation des troubles de la conduite et des troubles du comportement des enfants et des adolescents, troubles qui masquent une souffrance non reconnue, ainsi qu'une banalisation de signes de souffrance mis sur le compte de la crise d'adolescence, de la personnalité de la victime, de son sexe, ou à l'inverse une dramatisation de symptômes psychotraumatiques (mémoire traumatique, dissociation traumatique) souvent étiquetés à tort uniquement comme des troubles névrotiques anxieux ou bien dépressifs, des troubles de la personnalité (border-line, sensitive, asociale), et parfois étiquetés psychotiques (psychose maniaco-dépressive, schizophrénie, paranoïa, etc.) et traités abusivement comme tels et non comme des conséquences traumatiques qu’il faut traiter. De même les conduites d’évitement et de contrôle sur la pensée associés aux troubles dissociatifs chez les enfants et les adolescents peuvent être tellement envahissant, et entraîner une telle inhibition du contact et de la parole, qu’ils peuvent être pris pour des déficits intellectuels ou des troubles d’allure autistique, ce qu’ils ne sont pas bien sûr. Tous ces troubles sont régressifs dès qu’une prise en charge de qualité permet de traiter la mémoire traumatique.La méconnaissance de tous ces mécanismes psychotraumatiques, l’absence de soins, participent à l’abandon où sont laissées les victimes, à la non- reconnaissances de ce qu’elles ont subi, et à leur culpabilisation. Les victimes condamnées à organiser seules leur protection et leur survie, sont considérées comme responsables de leur propres malheurs.

Une protection et des soins essentiels :

Être secourus, protégés, entourés, informés de leurs droits, des conséquences psychotraumatiques et des soins qui leurs sont nécessaires et qui sont efficaces est fondamental pour les enfants victimes. L’absence de protection, d’information et de soins est une grave perte de chance.

La protection est essentielle et elle incombe aux adultes qui ne doivent pas attendre que les enfants victimes parlent car tout s’oppose à ce qu’ils puissent le faire : le doute, l’impossibilité de mettre des mots sur ce qui leur arrive,  peur, les menaces des agresseurs, la honte et la culpabilisation entretenues par les agresseurs et leurs complices, la peur de ne pas être crus, de faire exploser leur famille et la gravité de leurs traumas (leur mémoire traumatique qui risque d’exploser, la dissociation qui les anesthésie émotionnellement, les rend amnésiques et dans l’incapacité de dénoncer ce qu’ils ont subi). Les adultes doivent poser des questions dans le cadre de dépistage systématique, croire les enfants quand ils parlent et les protéger aussitôt, la loi est claire, signaler à la police, au procureur ou au 119 les violences sexuelles dont on a connaissance est une obligation sous peine d’être poursuivi et condamné.

Les soins sont essentiels, la mémoire traumatique doit être traitée. Il s’agit de faire des liens, de comprendre, de sortir de la sidération en démontant le système agresseur et en remettant le monde à l’endroit, de petit à petit de désamorcer la mémoire traumatique, de l’intégrer en mémoire autobiographique, et décoloniser ainsi la victime des violences et du système agresseur. Le but de la prise en charge psychothérapique, c’est de ne jamais renoncer à tout comprendre, ni à redonner du sens. Tout symptôme, tout cauchemar, tout comportement qui n’est pas reconnu comme cohérent avec ce que l’on est fondamentalement, toute pensée, réaction, sensation incongrue doit être disséqué pour le relier à son origine, pour l’éclairer par des liens qui permettent de le mettre en perspective avec les violences subies. Par exemple une odeur qui donne un malaise et envie de vomir se rapporte à une odeur de l’agresseur, une douleur qui fait paniquer se rapporte à une douleur ressentie lors de l’agression, un bruit qui paraît intolérable et angoissant est un bruit entendu lors des violences comme un bruit de pluie s’il pleuvait, une heure de la journée peut être systématiquement angoissante ou peut entraîner une prise d’alcool, des conduites boulimiques, des raptus suicidaires, des auto-mutilations s’il s’agit de l’heure de l’agression, une sensation d’irritation, de chatouillement ou d’échauffement au niveau des organes génitaux survenant de façon totalement inadaptée dans certaines situations peut se rapporter aux attouchements subis, des “fantasmes sexuels” violents, très dérangeants dont on ne veut pas, mais qui s’imposent dans notre tête ne sont que des réminiscences traumatiques des viols ou des agressions sexuelles subies… Le travail psychothérapique consiste à faire des liens et en réintroduisant des représentations mentales pour chaque manifestation de la mémoire traumatique (perfusion de sens), ce qui va permettre de réparer et de rétablir les connexions neurologiques qui ont subi des atteintes et même d’obtenir une neurogénèse. Il s’agit de « réparer » l’effraction psychique initiale, la sidération psychique liée à l’irreprésentabilité des violences. Effraction responsable d’une panne psychique qui rend le cerveau incapable de contrôler la réponse émotionnelle ce qui est à l’origine du stress dépassé, du survoltage, de la disjonction, puis de l’installation d’une dissociation et d’une mémoire traumatique. Cela se fait en « revisitant » le vécu des violences, accompagné pas à pas par un « démineur professionnel » avec une sécurité psychique offerte par la psychothérapie et si nécessaire par un traitement médicamenteux, pour que ce vécu puisse petit à petit devenir intégrable, car mieux représentable, mieux compréhensible, en mettant des mots sur chaque situation, sur chaque comportement, sur chaque émotion, en analysant avec justesse le contexte, ses réactions, le comportement de l’agresseur. Cette analyse poussée permet au cerveau associatif et à l’hippocampe de re- fonctionner et de reprendre le contrôle des réactions de l’amygdale cérébrale, et d’encoder la mémoire traumatique émotionnelle pour la transformer en mémoire autobiographique consciente et contrôlable. De plus il a été démontré qu’une prise en charge spécialisée permettait de récupérer des atteintes neuronales liées au stress extrême lors du traumatisme, avec une neurogenèse et une amélioration des liaisons dendritiques visibles sur des IRM (Imagerie par Résonance Magnétique). Rapidement, ce travail se fait quasi automatiquement et permet de sécuriser le terrain psychique, car lors de l’allumage de la mémoire traumatique le cortex pourra désormais contrôler la réponse émotionnelle et apaiser la détresse, sans avoir recours à une disjonction spontanée ou provoquée par des conduites dissociantes à risque. Il s’agit pour le patent de devenir expert en « déminage » et de poursuivre le travail seul, les conduites dissociantes ne sont plus nécessaires et la mémoire traumatique se décharge de plus en plus, la sensation de danger permanent s’apaise et petit à petit il devient possible de se décoloniser de la mémoire traumatique et de retrouver sa cohérence, et d’arrêter de survivre pour vivre enfin.

C’est donc aux adultes qui entourent les enfants de tout mettre en œuvre pour les secourir afin qu'ils puissent être protégés de leurs agresseurs et ​bénéficier d’une prise en charge adaptée dans les plus brefs délais​. ​Une telle prise en charge des conséquences psychotraumatiques des violences ​permet de traiter le traumatisme et d’en limiter l’impact​, à la fois en termes d’intensité et de durée.

Pour secourir les enfants victimes, il est impératif de ​procéder à un dépistage universel et régulier des violences sexuelles potentiellement subies. Aucun enfant ne doit être exclu de ce dépistage​, quel que soit son âge, son état de santé, sa situation familiale, scolaire, économique, sociale, sa nationalité, etc. Ce dépistage doit être effectué ​régulièremen​t, sans aucun a priori sur l’enfant concerné ou les agresseurs qu’il pourra être amené à dénoncer. Il est essentiel de croire ce que disent les enfants​.

Il faut donc ​outiller tous les adultes​ et cet ouvrage y participe, à commencer par les professionnels de l’éducation et des loisirs, de la santé, du champ social, et de la justice, pour qu’ils puissent ​effectuer ce dépistage et les orienter vers des prises en charge adaptées​.

Comment dépister les violences sexuelles ?

Il est impératif de repérer des signes de souffrances et de traumas chez les enfants et de questionner régulièrement tous les enfants pour savoir s’ils subissent ou ont subi des violences sexuelles. On peut poser une question directe, comme : “​subis-tu ou as-tu subi des violences ?​”, en s’appuyant sur des exemples provenant de contes, de Bandes Dessinées comme l’Histoire du vilain petit rat, de films, de dessins animés, de brochures d’information ou de l’actualité pour illustrer ce que le mot violence signifie. On peut aussi utiliser des ​questions indirectes : “Que s’est-il passé ou que t’est-il arrivé pour que tu sois si mal ?” ; “As-tu des problèmes, des soucis ?” ; “Est-ce qu’on t’a fait peur ?” ; “Est-ce qu’on t’a fait du mal ?” ; “Est-ce que quelqu’un a été méchant avec toi ?”, etc.

Que faire si un enfant subit des violences sexuelles ?

Il est non seulement impératif mais aussi ​obligatoire de signaler les violences sexuelles que subit un enfant dès lors qu’il les révèle, mais aussi en cas de suspicion à ce sujet. Les contrevenants s’exposent à de fortes amendes, voire des emprisonnements. Pourtant, ​les violences sexuelles que subissent les enfants demeurent peu dénoncées​. Ainsi, ​moins de 4% des viols sur mineurs font l’objet de plaintes​. ​Et, parmi ces dernières, 70% sont classées sans suite. En définitive, ​seules 10% de ces plaintes seront jugées pour viol, soit 0,3% de l'ensemble des viols commis à l’encontre des enfants​. Cette impunité met en danger tous les enfants, un même agresseur faisant généralement plusieurs victimes au cours de sa vie.

 
Les enfants sont impérativement à protéger. Ce n’est pas à eux de se défendre. ​Il leur est impossible de se préserver d’agresseurs dont la seule intention est de leur nuire.
Il appartient à chacun ​non seulement de réagir, mais aussi d’agir de sa propre initiative​, pour qu’aucun enfant ne subisse plus de perte de chance du fait de violences sexuelles. Une ​prise en charge précoce et adaptée est fondamentale pour éviter la plupart des conséquences des violences sexuelles.

Pour identifier les victimes de violences sexuelles dans l’enfance et leur offrir une protection et des soins adaptés, il est nécessaire que tous le monde sorte du déni, s’informe, pose des questions aux enfants et les croient quand ils révèlent des violences. Parce qu’elles ne seront plus condamnées au silence, ni abandonnées sans protection et sans soins, ces victimes pourront sortir de cet enfer où les condamne la mémoire traumatique des viols subis et leur redonner espoir en un monde où la reconnaissance, la solidarité, la justice et le soin ne seraient pas de vains mots, en un monde qui pourrait enfin être remis à l’endroit ! Et ce beau livre participe à lutter contre le déni et à ouvrir les yeux sur ces violences et sur les besoins de protection des victimes.

Vous trouverez de nombreuses informations accessibles et gratuites sur le site memoiretraumatique.org, des vidéos, des modules auto-normatifs et des brochures de prévention et d’information sur les violences et les leurs conséquences sur la santé telle que celle illustrée par Claude Ponti « Quand on te fait du mal » agréés par le gouvernement accompagnés d’un guide qui donne toutes les informations et les conduites à tenir : https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Documents-pdf/Guide-d-accompagnement-livret-Quand-on-te-fait-du-mal.pdf
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Si vous avez subi des violences sexuelles pour en témoigner et être informé de vos droits et des démarches à faire, ou en cas de révélations de violences sexuelles  par un enfant ou une personne vulnérable appelez la police (17, 112 ou 114 pour les personnes ayant des difficultés de communication orale) ou contactez la plateforme gouvernementale de signalement des violences sexistes et sexuelles, des policiers et des gendarmes formés vous y répondront 24h//24 par tchat : https://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-des-infos-pratiques/2022-Infos-pratiques/Signalement-des-violences-sexuelles-et-sexistes

En cas de doutes  et de besoin d’informations appelez le 119