Les 40 questions-réponses incontournables
Deuxième édition du livre de la Dre Muriel Salmona
actualisée et augmentée
éditée chez Dunod parution octobre 2021
disponible en librairie et en version e-book ou broché sur les sites
Ce livre éclaire d’un jour nouveau ce phénomène de masse qui sévit partout, et qui pourtant est encore trop souvent tabou.
pour feuilleter le début du livre cliquez ICI
Introduction à lire
Pourquoi est-il si important d’être informé sur les violences sexuelles et leur impact traumatique sur les victimes ?
Depuis la première parution de ce livre en 2015, une déflagration a eu lieu avec le mouvement #MeToo. Ce hashtag, né sur les réseaux sociaux en octobre 2017 lors du scandale de l’affaire Harvey Weinstein aux États-Unis, a eu un succès foudroyant et a permis une libération historique de la parole des femmes victimes de violences sexuelles, qui, par vagues successives, a déferlé dans le monde entier. Et cette déferlante ne s’est jamais arrêtée depuis, s’étendant à tous les pays, à tous les milieux, même les plus improbables.
Tout est parti d’une enquête du New York Times publiant les témoignages de nombreuses actrices qui rapportaient les violences sexuelles qu’elles avaient subies de la part du producteur le plus puissant d’Hollywood. Alors que depuis des décennies tout le monde savait, que plusieurs victimes avaient déjà dénoncé les agissements d’Harvey Weinstein, il ne s’était jamais rien passé, le déni, la loi du silence avaient fonctionné à merveille et permis au producteur de continuer à agresser sexuellement des actrices en toute impunité. Ce scandale a révélé au grand jour l’ampleur des violences sexuelles que subissaient les femmes dans le milieu du cinéma, la gravité du phénomène, le déni et la tolérance complice qui avaient régné jusque là. Les témoignages relayés par les médias ont suscité tellement d’indignation et de solidarité avec les actrices que de plus en plus de femmes se sont senties en sécurité et légitimes pour témoigner à leur tour des violences qu’elles avaient subies. La parole s’est libérée comme une traînée de poudre, les témoignages se sont multipliés avec le hashtag #MeToo. Soudain la parole de ces femmes était entendue, elles étaient crues, reconnues et des agresseurs si longtemps protégés étaient mis en cause. Un vent d’espoir et de solidarité s’est levé pour les femmes du monde entier.
Mais en France, alors que la lutte contre ces violences sexistes et sexuelles a été déclarée grande cause nationale en novembre 2017, le hashtag #MeToo et le hashtag français #Balancetonporc, lancé par Sandra Muller ont eu du mal à s’imposer. Les témoignages et les dénon- ciations ont été présentés comme des délations lorsque des agresseurs étaient nommés, et aucune des personnalités connues mises en cause n’a été inquiétée, elles ont pu continuer leur carrière, recevant des marques de considération et continuant à occuper des postes honorifiques. Sandra Muller sera même poursuivie en diffamation par celui qu’elle a nommé ; condamnée, elle sera relaxée en appel.
Les voix des victimes les plus vulnérables et les plus discriminées ont été étouffées, bien qu’elles représentent la majorité des cas (enfants, personnes handicapées, placées en institutions, racisées, marginalisées...), et ce malgré de nombreuses enquêtes édifiantes qui montraient l’ampleur de cette pédocriminalité et de ces violences sexistes et discriminatoires, malgré de nombreux témoignages, ouvrages, articles, pièces de théâtre, films, documentaires, podcasts au retentissement important, alors que de plus en plus de milieux se sont révélés gangrenés par l’ampleur des violences sexuelles commises en leur sein (Église, milieux sportifs, artistiques, universitaires...). De façon implacable, les résultats des étudesstatistiques et des enquêtes donnaient des chiffres effarants et montraient combien l’impunité, le déni et la culture du viol continuaient de régner dans l’indifférence générale. Il a fallu que des scandales judiciaires éclatent en France pour que soit mise en évidence l’incroyable impunité dont bénéficiaient les pédocriminels et la maltraitance que subissaient les victimes. Ces scandales ont ému l’opinion publique, particulièrement les affaires de Sarah à Pontoise et de Justine à Meaux, petites filles de 11 ans, considérées par la justice comme consentantes à subir des pénétrations par des hommes de 27 et 22 ans, en raison de l’absence de seuil d’âge du non-consentement. Nous avons lancé fin 2017 un manifeste pour lutter contre l’impunité des crimes sexuels et pour mieux protéger et respecter les droits des victimes de violences sexuelles. Ce manifeste, réclamant un plan national et 8 mesures urgentes, cosigné par 29 associations et soutenu par près de 106 600 signataires, a été présenté à la secrétaire d’État à l’Égalité des droits entre les femmes et les hommes. Certaines de nos mesures ont été prises en compte, comme la création d’une plateforme performante de signalement en ligne des violences sexistes et sexuelles, et la création de 10 centres du psychotraumatisme (bien loin des 100 prévus dans le cahier des charges que nous avions élaboré avec la Délégation à l’offre de soin). Un projet de loi a été élaboré puis voté en 2018 (loi Schiappa), mais, faute de courage politique, les mesures phares attendues n’ont pas été prises : si le délai de prescription des crimes sexuels commis sur les mineurs a été prolongé à 30 ans après la majorité, nous n’avons pas obtenu d’imprescriptibilité ni de levée de prescription pour les crimes en série et en cas d’amnésie traumatique, et surtout, la loi a échoué à mettre en place les seuils d’âge du non-consentement promis par le gouvernement et le président lui-même pour les mineurs de moins de 15 ans et en cas d’inceste. La déception a donc été grande : sans seuil d’âge la justice pouvait continuer à rechercher le consentement des enfants de tout âge à des actes sexuels.
L’année 2020 a marqué un tournant et une prise de conscience vis-à-vis de la pédocriminalité et de la propagande qui l’accompagnait pour la rendre tolérable, avec la sortie du livre de Vanessa Springora, Le consentement, qui dénonçait Gabriel Matzneff et tout un milieu intellectuel et littéraire qui avaient pu faire dans les années 70 et 80 l’apologie de la « pédophilie » sous couvert de liberté sexuelle et d’élitisme.
Mais la partie la plus importante de la pédocriminalité continuait à rester dans l’ombre, celle exercée au sein même de la famille, jusqu’à ce début 2021 où la parution du livre de Camille Kouchner, La familia grande, dans lequel elle raconte les viols subis par son frère jumeau, a fait voler en éclat cet ultime tabou de l’inceste.
Il était temps, les victimes d’inceste n’en pouvaient plus d’être bâillonnées ! En un week-end, plus de 80 000 tweets ont été postés sous le hashtag #MeTooInceste, avec un retentissement international. Les médias se sont mis résolument du côté des victimes et leur ont donné une large tribune, ainsi qu’à celles et ceux qui se battent quotidiennement pour elles. La couverture médiatique exemplaire du livre de Camille Kouchner a permis d’offrir aux victimes d’inceste une légitimité et une sécurité inédites pour témoigner. Elles se sont senties enfin entendues. L’idéalisation de la famille, le déni, la loi du silence et la propagande anti-victimaire des agresseurs et de leurs complices, si efficaces pour faire disparaître les crimes et réduire les victimes au silence, ont soudain été balayés par cette clameur puissante jamais égalée. La société a semblé se réveiller enfin et découvrir horrifiée la gravité de cette criminalité, cruelle, dégradante et inhumaine, comme la qualifie la Cour européenne. Le président de la République lui-même a réagi en postant une vidéo sur le réseau social Twitter, reconnaissant l’urgence d’agir et la nécessité d’un changement radical de société. Il s’est engagé à entendre et protéger les victimes de violences sexuelles dans l’enfance, et à ne laisser aucun répit aux agresseurs, donc à lutter contre leur impunité. Il a tenu des propos forts : « On est là. On vous écoute. On vous croit. Et vous ne serez plus jamais seuls ». « Ces témoignages, ces paroles, ces cris, plus personne ne peut les ignorer. Contre les violences sexuelles faites à nos enfants, c’est aujourd’hui à nous d’agir. » S’en est suivie une volonté de réforme de la part du gouvernement et des législateurs, qui a abouti à ce que nous réclamions depuis si longtemps : une protection spécifique et renforcée des enfants vis-à-vis des violences sexuelles, avec le vote d’un seuil d’âge du non-consentement à 15 ans, et à 18 ans en cas d’inceste.
Ce vote, 3 mois à peine après #MeTooInceste, associé à la création d’une Commission indépendante inceste et violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE), est une avancée historique, mais il nous laisse un goût amer. D’abord parce que cette nouvelle loi exclut de nombreux enfants d’une protection renforcée et les quelques mesures annoncées de dépistage à l’école et de remboursement de soins psychologiques ne peuvent pas masquer la faillite totale des institutions pour lutter contre ces violences sexuelles. Elles servent de cache-misère à une situation catastrophique.
Car l’État a failli à toutes ses obligations internationales, à savoir celles de prévenir ces violences, protéger et prendre en charge les victimes, et punir les agresseurs. Un état des lieux accompagné d’une analyse précise serait indispensable afin de remédier à cette situation en mettant en œuvre les réformes nécessaires. L’État doit assumer la responsabilité d’avoir failli à ses obligations et doit en rendre compte, il doit réparer les victimes qui ont été abandonnées, mises en danger, laissées pour compte, sans protection, sans prise en charge ni soins, sans justice ni réparation : leurs droits ont été piétinés et elles ont subi une cascade d’injustices, de lourds préjudices et une scandaleuse perte de chance en termes de santé et d’intégration sociale.
La route reste longue pour lutter contre le déni, la loi du silence, la culture du viol, les stéréotypes sexistes et les théories victimaires, sans oublier la méconnaissance des conséquences psychotraumatiques des violences, qui nuisent gravement aux victimes, les rendant coupables de leur propre malheur, les présentant comme indignes et illégitimes, ne méritant pas qu’on soit solidaire avec elles. Cette propagande charrie des stéréotypes, des idées fausses et des mensonges qui résistent à toutes les grandes avancées dans la connaissance de la réalité de ces violences, de la gravité de leurs conséquences depuis plus de 30 ans. Cette propagande omniprésente gangrène les institutions, empêche que les victimes soient entendues et prises en compte et verrouille la mise en place des réformes et des formations nécessaires dans le cadre de la protection des victimes, de la prise en compte des psychotraumatismes, et de la justice. Pour sortir de cette situation il faut informer et former sans relâche, lutter contre les inégalités et les discriminations, et surtout respecter les droits des victimes pour qu’elles soient enfin légitimées, protégées, soignées et réparées.
Mais rien n’est simple. Nous allons voir que malgré l’impressionnant chemin parcouru en plusieurs décennies, déni, loi du silence, culture du viol et impunité, alimentés en permanence par des stéréotypes sexistes et des théories anti-victimaires haineuses, résistent à tout. Les violences sexuelles continuent à être vues au travers du prisme déformant imposé par les agresseurs et leurs complices, avec leur propagande ; rendre justice aux victimes en légitimant leur parole et en reconnaissant leurs souffrances est essentiel.
Si en 2021, tout le monde s’accorde sur le fait que subir des violences sexuelles est grave et traumatisant, et représente une atteinte aux droits, à la dignité et à l’intégrité physique et psychique des victimes...
Si en France un travail énorme d’information, de campagne et de lutte contre les violences sexuelles a été fait depuis plus de 30 ans par des associations féministes, si des numéros nationaux ont été mis en place comme « femmes-viols-information, » le 39-19 et le 119, si nous avons obtenu qu’une plateforme gouvernementale de signalement des violences sexistes et sexuelles par tchat 24 h/24 soit mise en place en 2018, si les plans gouvernementaux triennaux de lutte contre les violences faites aux femmes ont, depuis 2011, abordé la question du viol et des agressions sexuelles et en ont fait une des grandes causes nationales du quinquennat d’Emmanuel Macron, si les violences sexuelles envers les enfants ont été enfin prises en compte lors du premier plan triennal de lutte contre les violences envers les enfants en 2017 et de nouvelles lois pour renforcer la lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants ont été votées en 2018 et 2021, si une Commission indépendante inceste et violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) a été créée en 2021...
Si les agressions sexuelles sont considérées par la loi comme des délits jugés au tribunal correctionnel et les viols comme des crimes jugés en cour d’assises, et si la loi française, grâce aux nombreuses mobilisations, s’est améliorée ces dernières années, à partir des définitions de la loi de 1980 (qui qualifiait les agressions sexuelles et les viols d’atteintes ou de pénétrations sexuelles commises par violence, contrainte, menace, ou surprise) :
- en redéfinissant de façon plus complète et précise les notions de contrainte morale et surprise (avec les lois du 8 février 2010 et du 3 août 2018) et le crime de viol comme « Tout acte de pénétration de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital (depuis la loi du 21 avril 2021) commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur (depuis la loi du 3 août 2018) par violence, contrainte, menace ou surprise » ;
- en créant enfin, avec la loi du 21 avril 2021, de nouveaux crimes de viols et délits d’agression sexuelle spécifiques pour les mineurs quand ils sont commis par des majeurs, en fonction d’un seuil d’âge du non-consentement à 15 ans, à condition que la différence d’âge entre le majeur et le mineur soit d’au moins 5 ans, et d’un seuil d’âge du non-consentement à 18 ans en cas d’inceste, à condition qu’il soit commis par un membre de la famille ascendant direct ou ayant une autorité de droit ou de fait sur les mineurs (ces nouveaux crimes et délits spécifiques commis sur un mineur par un majeur ne nécessitant pas d’établir la preuve d’une violence, d’une contrainte, d’une menace ou d’une surprise pour constater et punir le viol ou l’agression sexuelle) ;
- en reconnaissant le viol conjugal en 2006, en réintroduisant la qua- lification d’agressions sexuelles et de viols incestueux depuis 2016 et en l’élargissant aux majeurs en 2018, en reconnaissant la prostitution comme une violence sexuelle avec la mise en place d’une pénalisation du client en 2016, et la qualification de viol ou d’agression sexuelle pour la prostitution des mineur · e · s de moins de 15 ans...
• en améliorant la définition du harcèlement sexuel et en créant un nouveau délit de « sextorsion » ;
• en élargissant les délais de prescriptions qui ont doublé pour les majeurs en 2017 passant de 3 à 6 ans pour les délits et de 10 à 20 ans pour les crimes, et qui, pour les mineurs sont passés en 2004 à 20 ans après la majorité pour les viols et les délits sexuels aggravés, et en 2018 à 30 ans pour les viols, avec la mise en place en 2021 d’une prescription glissante en cas de crimes et délits sexuels commis en série par un même agresseur sur plusieurs victimes mineures (les délais de prescription d’un viol et d’une agression sexuelle étant alors prolongés jusqu’à la date de prescription de la nouvelle infraction).
Si les connaissances sur les violences sexuelles et sur leur impact très lourd sur la santé mentale et physique des victimes ont beaucoup progressé ces deux dernières décennies, si des recherches, des enquêtes et des études françaises et internationales ont permis de mieux évaluer la fréquence, la réalité et la gravité des violences sexuelles, de mieux répertorier les troubles psychotraumatiques que toute victime peut présenter, de mettre en évidence des atteintes neurologiques, de mieux en connaître les mécanismes neurobiologiques, et les symptômes, et de développer des traitements adaptés et efficaces, si depuis 2018 nous avons enfin obtenu l’ouverture de 15 centres du psychotraumatisme (alors que nous en réclamions 100)...
Force est de reconnaître que sur le terrain tout se passe malheureu- sement très différemment. Loi du silence, déni, impunité quasi-totale, absence de formation des professionnels, absence de reconnaissance, de protection et abandon des victimes de violences sexuelles règnent encore en maîtres.
La méconnaissance de la réalité des violences sexuelles, de leur fréquence, et de la gravité de leur impact traumatique, conduit à les reléguer encore dans la catégorie « faits divers » sans en reconnaître le caractère systémique et sexiste. Et la culture du viol et ses fausses représentations, ses stéréotypes, en désignant a priori la victime comme coupable d’avoir menti, d’avoir provoqué le viol, ou d’y avoir en fait consenti, continuent à assurer une impunité quasi totale aux agresseurs.
Pourtant, les violences sexuelles sont considérées en droit européen comme des traitements cruels, inhumains et dégradants, et de plus en plus, en droit international, comme une forme de torture. Ce sont des crimes de premier ordre que les États ont la responsabilité et l’obligation de prévenir et de punir, quel qu’en soit l’auteur.
Et quand bien même les violences sexuelles seraient reconnues, leurs conséquences psychotraumatiques ne le sont pas comme telles, ni traitées spécifiquement. Pourtant l’Organisation mondiale de la santé en fait depuis 2010 un problème majeur de société et de santé publique.
Cette méconnaissance des symptômes psychotraumatiques explique que les victimes restent le plus souvent incomprises, et participe large- ment aux idées fausses les concernant. Pire, elles sont mises en cause pour des réactions et des comportements qui sont des conséquences psychotraumatiques normales des violences sexuelles (McFarlane, 2010).
De plus, cette coupable ignorance est responsable d’une disqualifica- tion de la parole des victimes dans le cadre des procédures policières et judiciaires, puisque des réactions normales dues au traumatisme comme la sidération, la mémoire traumatique ou la dissociation mettront en cause leur crédibilité.
Et comme les victimes les plus traumatisées et les plus en danger sont très dissociées et donc anesthésiées émotionnellement, rares sont les personnes qui se préoccupent de leur sort et ont peur pour elles. La dissociation traumatique étant perçue, par ignorance, comme une absence de souffrance et de sensibilité, ou une limitation intellectuelle chez la victime, elle suscite au mieux une indifférence de la part de tous ceux qui l’entourent ou l’accompagnent, et au pire une maltraitance et une revictimisation.
Pourtant nous savons très bien décrire cliniquement ces troubles psychotraumatiques, les diagnostiquer, et nous savons les traiter effi- cacement avec des techniques psychothérapiques qui permettent une intégration de la mémoire traumatique en mémoire autobiographique et une récupération des atteintes neurologiques grâce à la neuroplasticité du cerveau (Elhing, 2003).
Qui connait les faits suivants ?
• Les violences sexuelles sont présentes dans tous les milieux et sont avant tout commises par des hommes qui sont des proches, dans près de 90 % des cas pour les victimes majeures et dans 94 % des cas pour les victimes mineures (ONDRP 2018, enquête IVSEA (Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte), de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, 2015).
• Plus d’une femme sur 6 et un homme sur 20 ont subi des violences sexuelles dans leur vie (enquête CSF, 2008).
• Les victimes sont en majorité des enfants : 81 % des victimes de violences sexuelles avaient moins de 18 ans lors des premières violences sexuelles, 51 % moins de 11 ans et 21 % moins de 6 ans et près de 60 % des viols sont commis sur des mineur·e·s ; 18 % des femmes et 7,6 % des hommes ont subi des violences sexuelles dans leur enfance ? Chaque année 94 000 femmes majeures et 16 000 hommes majeurs subissent des viols et des tentatives de viol. En croisant les chiffres des études de victimation 130 000 filles en subiraient, et plus de 35 000 garçons. 10 % des Français · e · s ont subi un inceste, soit 6,7 millions de personnes (Face à l’inceste/IPSOS 2020) L’âge moyen des victimes mineures est de 10 ans... (OMS, 2014, IVSEA, 2015, CSF, 2008, VIRAGE 2017, MTV/IPSOS, 2019).
• La pédocriminalité sur le net explose ! On y recensait 1 million de photos et de vidéos en 2014, 45 millions en 2018 et plus de 70 millions en 2019, impliquant des enfants (des filles dans 90 % des cas) de plus en plus jeunes (3 à 13 ans dans 90 % des cas) exploités le plus souvent par des membres de leur famille (des hommes dans 99 % des cas) et subissant des actes de plus en plus barbares. La France est le troisième pays du monde (et le deuxième en Europe) en nombre de sites et d’utilisateurs...
- Les agresseurs sont des hommes dans 9 cas sur 10, mineurs dans 25 à 30 % des cas. Dans leur grande majorité, ils sont connus de la victime, et dans la moitié des cas ce sont des membres de la famille (IVSEA, 2015 ; VIRAGE, 2017 ; MTV/IPSOS, 2019).
- Moins de 10 % des victimes de viol portent plainte et moins de 1 % des violeurs seront condamnés (ONDRP, 2018, Infostat justice, 2018). Les statistiques de la justice montrent que depuis 10 ans les condamnations pour viols ont diminué de 40 % (Infostat justice, 2018). Le viol est le crime qui bénéficie de la plus grande impunité.
- 83 % des victimes de violences sexuelles disent ne pas avoir été proté- gées, les moins protégées sont aussi les plus vulnérables et discriminées, enfants, minorités, handicapé · e · s... (enquête IVSEA, 2015).
- Avoir subi des violences sexuelles dans l’enfance est le déterminant principal de la santé 50 ans après, si aucune reconnaissance ni prise en charge spécifique n’a été proposée (Felitti et Anda, 2010).
- Les violences sexuelles impactent le cerveau, provoquent des atteintes neurologiques, et déclenchent des mécanismes neurobiologiques de sauvegarde exceptionnels à l’origine d’une sidération qui empêche la victime de réagir, d’une dissociation qui l’anesthésie et d’une mémoire traumatique qui lui fera revivre les violences à l’identique durant des années voire des dizaines d’années si rien n’est fait pour la traiter (Rauch, 2006 ; Salmona, 2013).
- Pour 95 % des victimes de violences sexuelles, les conséquences sur leur santé mentale sont plutôt importantes à très importantes (enquête IVSEA, 2015).
• 42 % des victimes de violences sexuelles font des tentatives de suicide, 50 % en cas d’inceste et de viol dans l’enfance (enquête IVSEA, 2015).
Ces connaissances restent bien trop peu partagées. Les Français · e · s, comme le démontre notre enquête de 2019 en population générale, continuent à sous-estimer les chiffres des violences sexuelles et à être une majorité à adhérer au mythe des viols qui seraient avant tout le fait d’inconnus dans l’espace public sur des femmes adultes et sexuellement attractives. Leur perception des violences sexuelles reste celle d’une pulsion, et d’un désir sexuel incontrôlé suscités par la victime, son comportement, sa tenue, ou ses prises de risque. Ils sont très nombreux (plus de 75 %) à méconnaître que les viols touchent tous les milieux et sont avant tout commis par des proches dans le cadre de la famille et du couple, et que les mineurs en sont les principales victimes. De même ils méconnaissent les lois et les définitions des agressions sexuelles et des viols, et n’ont pas conscience de l’impunité des violences sexuelles ; ils surestiment le nombre de plaintes et de condamnations, et sont 90 % à penser que les condamnations pour viols ont augmenté depuis 10 ans alors que, comme nous venons de le voir, elles ont diminué de 40 % en 10 ans (MTV/IPSOS, 2019).
Ce déni persistant associé à la culture du viol explique que l’immense majorité des victimes doivent survivre seules, sans protection, ni justice, ni réparations, à des violences sexuelles subies le plus souvent de façon répétée dès le plus jeune âge, et aux conséquences psychotraumatiques catastrophiques de ces violences sur leur santé et leur vie, sans accompa- gnement ni soins spécifiques. Cet abandon de la très grande majorité des victimes de violences représente pour ces personnes une perte de chance et une grave atteinte à leurs droits. Mettre en place une offre de soin adaptée et accessible à toutes les victimes, par des professionnels formés, est une urgence. « Il s’agit d’un problème mondial de santé publique, d’ampleur épidémique, qui appelle une action urgente », déclarait en 2013 le Dr Margaret Chan, directrice générale de l’OMS.
Si les victimes étaient au moins informées, ou au mieux bien orientées et prises en charge, elles pourraient échapper à cet enfer et se retrou- ver enfin soulagées. En témoigne cette internaute, victime d’inceste dans l’enfance :
« D’avoir lu votre article sur la mémoire traumatique et les mécanismes de la dissociation m’a permis de comprendre ce que je n’avais jamais compris jusque-là : le pourquoi de mes comportements autodestructeurs. J’ai pu aussi en discuter avec mes proches. C’est un véritable soulagement. Je renoue tout simplement avec moi-même, j’ai éloigné de moi toute la culpabilité que j’accumulais en ce qui concerne mon rapport au danger (prise excessive d’alcool jusqu’à la perte de conscience, relations sexuelles à risque...). Je me sens plus douce avec moi-même et mes deux enfants. »
Et il est essentiel que les proches des victimes et les professionnels qui les prennent en charge possèdent ces outils, pour mieux les comprendre, les protéger et les soutenir. Quant à ceux qui ont été ou sont auteurs de violences, ces outils pourraient leur permettre de réaliser plus clairement la gravité de leurs actes et des conséquences qu’ils entraînent. Finalement, c’est toute la société qui devrait posséder ces outils pour lutter contre toutes les formes de violences, pour ne plus les laisser impunies et les prévenir plus efficacement.
Pour lutter contre les violences sexuelles, il faut donc lutter contre le déni, la loi du silence, et les idées fausses, l’impunité et les inégalités, qui d’un côté laissent la très grande majorité des victimes jamais reconnue, ni protégée, ni prise en charge, et de l’autre permettent que les agresseurs continuent de bénéficier d’une quasi totale impunité. Pour cela, il est impératif de diffuser sans relâche des informations sur la loi, les droits des personnes, la réalité des violences sexuelles et de leurs conséquences pour remettre le monde à l’endroit.
Chacun devrait savoir que les violences n’ont rien à voir avec la sexualité, ce sont des armes massives de domination, de destruction, de soumission et de contrôle social. Elles sont avant tout des violences masculines, sexistes, haineuses et discriminatoires qui s’exercent dans un contexte patriarcal de rapport de force, d’inégalités, dont les enfants et les personnes les plus vulnérables et discriminées sont les premières victimes, et parmi elles, les filles sont les plus touchées (83 % de filles pour 17 % de garçons) ainsi que les enfants les plus vulnérables et plus discriminés : enfants handicapés (4 à 6 fois plus victimes de violences sexuelles), enfants en grande précarité, orphelins placés en institutions, enfants racisés (VIRAGE, 2017 ; ONDRP, 2017 ; MTV/IPSOS, 2019 ; Danmeyer, 2016).
Chacun devrait savoir qu’elles sont très traumatisantes, et qu’elles ont de graves conséquences à long terme sur la vie et la santé des victimes, ce qui en fait un problème majeur de droits humains, de société et de santé publique qu’il est urgent de traiter.
Chacun devrait savoir ce que sont une mémoire traumatique et une dissociation traumatique, faute de quoi les victimes ne seront jamais totalement comprises ni reconnues, ni la gravité de ces violences réellement prise en compte.
L’objectif est de créer une prise de conscience suscitant enfin une indignation généralisée contre ces crimes et délits, afin qu’ils ne soient plus tolérés et qu’ils ne restent plus impunis, ainsi qu’une véritable solidarité avec les victimes pour qu’elles ne soient plus abandonnées et bénéficient de prise en charge, de justice et de réparations. Pour reprendre et développer le titre du rapport 2015 de l’UNICEF France, les principales victimes des violences sexuelles étant les enfants : « chaque enfant compte », chaque femme compte, chaque homme compte et doit être protégé de ces violences, il s’agit d’un impératif catégorique.
J’espère que ce livre participera à cet objectif en donnant des éléments de réponses à 40 questions que beaucoup se posent, à tort ou à raison.
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